La mémoire d’Alexandre le Grand dans la construction politique des royaumes hellénistiques

La mémoire d’Alexandre le Grand dans la construction politique des royaumes hellénistiques - Louis du Pré
La mémoire d’Alexandre le Grand dans la construction politique des royaumes hellénistiques - Louis du Pré

« Quelle mémoire d'Alexandre le Grand dans la construction politique des royaumes hellénistiques : entre progrès et conflit »

« The Hellenistic period could be said to have been born in a big bang » A. B. Bosworth, avec ces mots, tente de dépeindre la situation hellénistique, à partir de l’ère des Diadoques, comparable à un conflit permanent. Une situation conflictuelle résultant d’ambitions individuelles, pour reprendre les termes de Plutarque, mêlée à l’absence d’un successeur légitime capable de perdurer le rêve d’Alexandre, gâchant ainsi l’héritage d’Alexandre. Héritage souvent perçu sous un angle onirique, voire mythique, rendant compte de la fascination exercée par Alexandre tant sur ses contemporains que sur la postérité. En ce sens « tous les hommes rêvent mais il arrive parfois que ce soit l’histoire qui rêve à travers les hommes ». Par ses mots, Jacques Benoist Méchin rend compte de l’approche quasi téléologique de l’œuvre d’Alexandre, celle-là même qui voit la rencontre de deux univers pourtant bien différents, l’occident et orient assemblé, sous l’action d’un homme, sinon d’un chef. Ainsi, à travers les relations entretenues entre Alexandre et ses Successeurs se trouve une relation toute particulière oscillant entre “progrès” et “conflit”. “Progrès” telle la volonté, pour les Successeurs, de perdurer, ou du moins de se référer, à la mémoire d’Alexandre et “conflit” tel le moyen, sinon la finalité, pour y parvenir. Inversement, la perception de ce schéma peut, sans doute, s’articuler sous un angle différent, selon les critiques portées à l’œuvre d’Alexandre : “conflit” légué par Alexandre le Grand au travers de l’échec d’une potentielle paix léguée aux Successeurs, et ce en l’absence d’un successeur désigné, et tentative de ces derniers d’édifier ce legs quelque peu conflictuel et incertain aboutissant sur la notion de “progrès”. À travers, cette interaction, oscillant entre “progrès” et “conflit”, l’approche tragique prend tout son sens, celle sans doute du moteur pour l’histoire. En ce sens, la description de Plutarque à propos des portraits d’Alexandre, le montrant “with tisse eyes turned heavenward” questionnant Zeus, est explicite... “Take Olympus, leave me the earth". Par nécessité, le héros se doit de mourir afin d’entraîner, par le procédé mimétique de ses Successeurs, le dépassement de ses héritiers. Ainsi le héros tragique incite au dépassement, sinon au progrès historique (sans acception morale ni idéologique). En ce sens, la finalité tragique du héros permet, sinon favorisent, les conditions du dépassement postérieur. En d’autres termes, le héros tragique offre à l’Histoire le choix de perdurer sa destinée tout en laissant la possibilité à ses héritiers de marcher dans le sillage tracé. Ainsi, l’idée de ce dépassement, sinon de ce “progrès”, sera étudiée à travers la relation conflictuelle.

S’intéresser à la mémoire, sinon l’héritage, d’Alexandre le Grand dans la “construction politique” des royaumes hellénistiques suppose préalablement de prêter une attention particulière à la figure d’Alexandre puis dans un second temps de s’interroger sur la “construction politique”, aux perspectives multiples, des différentes constructions du monde hellénistique. Au préalable donc, il s’agit d’étudier la responsabilité, sinon l’impact, d’Alexandre le Grand pour la proche postérité. En effet, toutes références particulières à l’égard d’Alexandre le Grand suppose un contexte particulier, sinon un héritage transmis à partir duquel les royaumes hellénistiques vont construire une base politique. Ainsi il apparaît comme une nécessité de s’interroger sur l’impact de l’ère d’Alexandre et de ses conséquences à partir desquelles les différentes constructions politiques vont s’ériger. La mémoire directe, sinon l’héritage transmis d’Alexander, est donc capitale. Celle-ci doit être distinguée selon deux angles de réflexion. Dans un premier temps, la mémoire pour elle-même, en ce sens l’héritage direct d’Alexandre le Grand légué au monde hellénistique. Dans un second temps, la mémoire sous le prisme d’autrui, en ce sens l’exploitation particulière en vue de légitimer une construction politique à partir d’une référence clef, à savoir Alexandre le Grand, souvent aux prises avec de nombreux conflits locaux. Il existe donc une interrelation entre la mémoire transmise, soit l’héritage direct à partir duquel les Diadoques ou Successeurs situent, et la mémoire sélective, soit l’héritage que l’on prélève en fonction d’une situation particulière.

La figure d’Alexandre le Grand interroge, tant par sa grandeur que par son éphémère présence quelque peu tragique. En l’espace d’un temps très court, Alexandre a triomphé l’un des plus grands empires que l’antiquité ait connu. En effet, il ne lui a fallu qu’une dizaine d’années pour réaliser les vœux de son père, Philippe II. Usant de différents stratagèmes pour aboutir à ses fins - se faisant tout d’abord le défenseur, sinon le vengeur, des Grecs dans la continuité du Panégyrique d’Isocrate puis, par la suite, le serviteur de l’Empire Achéménide en vue d’être accepté dans la continuité persane - Alexandre ouvre la voie à l’ère hellénistique. Ère résultant d’un paradigme quelque peu complexe, sinon d’un alliage pour le moins compliqué de deux modèles types, gréco-macédonien et achéménide, a priori contraire dans leurs perceptions respectives. Certains, tel Plutarque notamment dans Sur la fortune ou La vertu d'Alexandre, ont perçu à travers l’œuvre d’Alexandre le point de départ de l’hellénisme exporté outre Grèce en direction de l’est ; Alexandre étant supposé être le “the bringer of Greek civilisation”. Cependant, l’héritage d’Alexandre semble, plutôt, être un compromis entre la culture grecque et les cultures locales comme en témoignent les royaumes hellénistiques. En ce sens, Plutarque, dans ses Vies parallèles, “fails to rise to the bait of presenting any of the Hellenistic kings, Seleukids or others, as champions of Hellenism”. En lien avec l’œuvre d’Alexandre le Grand, “les rois hellénistiques sont héritiers à la fois des rois macédoniens et des rois achéménides” . Ces monarchies hellénistiques se doivent donc de composer avec la réalité culturelle locale. Ainsi, ces dernières semblent, à travers l’idée du compromis culturel, suivre le sillage d’Alexandre. À travers la situation léguée par Alexandre, “la période des Diadoques et de leurs successeurs introduit de nouveaux enjeux” appelés ici “construction politique”. Résultant de la “situation conflictuelle”, induite par la rivalité successorale, les prétendants sont en proie à une recherche constante de légitimité, traduite par un effort militaire et parachevé par un culte monarchique, se référant partiellement à l’œuvre d’Alexandre. Ainsi la construction politique des royaumes hellénistiques se comprend comme une aspiration légitimée par la figure d’Alexandre. En d’autres termes, la “construction politique” traduit une volonté d’être reconnu tel le successeur légitime d’Alexandre le Grand. En témoigne le cas d’Antigone le Borgne, ou du moins de référence à la figure d’Alexandre. Cette construction politique transparaît au travers de l’imitation, de l’invention, de la localisation, de la mythification, du symbolique, de la relation ancienne, … liée avec le personnage d’Alexandre le Grand. Cela prend forme autour des institutions politiques, de la monnaie, du culte, de la symbolique, des relations internationales, de la fédération du royaume, de la guerre et de ses stratégies, de la pratique du pouvoir, … Les émissions monétaires, par exemple, revêtent une importance capitale pour l’idéologie officielle, notamment la récupération des symboles et images d’Alexandre par Séleucos à partir des années 305/304. En ce sens, elles sont une justification et une illustration de la position politique résultant toujours d’une situation instable.

Ainsi l’étude de la mémoire d’Alexander le Grand, sinon l’héritage de celui-ci, se départage avec l’héritage direct, soit la situation à partir de laquelle sont érigés les royaumes, et l’héritage indirect, soit le résultat d’un prélèvement quelconque à partir de la figure d’Alexandre correspondant à une nécessité politique particulière couplée à une réalité, sinon une nécessité, géographique et historique complexe.

Le monde hellénistique, fruit des conquêtes d’Alexandre le Grand, offre un cadre géographique particulier qui s’étend, sur un plan ouest est, des cataractes du Nil à l’Inde ainsi que, des Balkans jusqu’au Golfe persique, sur un plan nord sud. La mort d’Alexandre le Grand dans la cité de Babylon, en l’année 323 avant notre ère et le partage de l’Empire par ses successeurs au terme de quatre années successives de guerres aboutissent à la naissance de la période hellénistique. Naissance donc d’une ère nouvelle en quête de légitimité. Nouvelle ère en rupture, ou continuité, avec l’œuvre d’Alexandre en raison, notamment, des délocalisations multiples des centres de commandements. Période hellénistique qui s’achèvera avec la conquête de l’Egypte par Auguste, au Ie siècle avant notre ère. La période hellénistique témoigne d’un processus long, complexe et conflictuelle fort de III siècles. Celui-ci s’articule de la manière suivante : “constitution des royaumes hellénistiques, stabilisation au sein de l’équilibre des puissances (‘balance of power’), puis disparition successive née de crises internes et de leur rivalité perpétuelle” . L’étude de la “mémoire” d’Alexandre le Grand dans la “construction politique” suppose, au préalable, un souci de légitimé. Ce souci de légitimité est induit par la pluralité des acteurs en conflit, puisque logiquement l’unicité reste souvent incontestée là ou le nombre favorise la relation conflictuelle. C’est donc, également, à travers les différentes relations entre les royaumes hellénistiques qu’il conviendra d’étudier la “construction politique”. En d’autres termes, les “rivalités perpétuelles”, revêtant la notion de “conflit”, induisent la recherche de légitimité. Cependant l’idée de la légitimité, à travers le mythe d’Alexandre le Grand, avancée par P. Goukowski s’arrête à mesure que les monarchies hellénistiques se renforcent.

La période hellénistique est ponctuée d’éléments clefs. À commencer par la succession d’Alexandre le Grand et les premiers affrontements qui en découlent. Se pose ici la question de la “survie de l’empire et de sa gestion immédiate”. Découle de ces événements une régence tricéphale qui répond à deux exigences capitales liées à l’unité de l’Empire. Premièrement, préserver l’autorité centrale de l’Empire d’Alexandre et deuxièmement garantir la représentation des deux rois. En réalité cette question, au regard des historiens, relève rapidement d’une fiction et ce en raison des ambitions personnelles affichées par les lieutenants d’Alexandre. En effet, Pierre Briant, dans "Antigone le Borgne. Les débuts de sa carrière et les problèmes de l’assemblée macédonienne p. 119", relève la forte personnalité d’Antigone le Borgne, pour la moins décisive dans le cours des événements politique. Errington s’applique à analyser le même phénomène. Est entamé, par la suite, le partage satrapique, sous l’influence de Perdiccas. Celui-ci marque la première rupture réelle de l’unité impériale, prémices des relations conflictuelles entre les successeurs. Chacun des protagonistes nourrit le rêve d’une réalisation particulière. L’entrevue de Triparadisos marque un tournant politique. Celui de la disparition effective de tout pouvoir central légitimant les entités régionales. Éclate à la suite de cela, l’affrontement des Diadoques entre les années 321 à 301.

Débute, dans le cadre du renforcement et de la légitimation des entités locales, la “politique des cadeaux” à l’égard des notabilités locales. Résulte de ce démarchage politique, en continuité avec l’œuvre d’Alexandre, un compromis obligatoire entamé avec les cultures locales. Dans le cadre de cette relation conflictuelle apparaît la figure prédominante d’Antigone le Borgne, au regard de son positionnement politique qui suscite l’hostilité des Diadoques. Longuement posée, la question de la revendication, sinon l’application par Antigone, de l’héritage d’Alexandre reste d’actualité comme en témoignent les travaux de O. Mueller et d’Edouard Will. A contrario d’Antigone le Borgne, Ptolémée et Séleucos, entretenant des rapports conflictuels, s’illustreraient par une volonté de “s’affranchir de l’unité impériale”. Il n’en demeure pas moins que le royaume lagide tente d’obtenir une légitimité à partir de la figure d’Alexandre comme en témoigne la récupération de la dépouille d’Alexandre.

Dans cette logique de légitimation, Séleucos ne diffère pas du plus grand nombre des Diadoques. Il installe, en effet, sa légitimité dans un compromis situé entre la logique du “pré-carrée Egyptien” et des références à Alexandre le Grand. La prise du titre royal par Antigone en 306 trouve un écho particulier à cette course vers la légitimée. En effet, peu de temps après sa prise du titre royal, Antigone se trouve rejoint par Ptolémée et Séleucos. Quelle perception peut-elle émerger d’un tel geste ? S’agit-il d’une revendication de l’héritage d’Alexandre ? Si oui, quel héritage Antigone convoitait-il ? Les historiens divergent sur cette question, en témoignent les différentes positions de P. Goukowski, de E. Gruen ou encore E. Will. P. Goukowski semble indiquer qu’Antigone, à l’image d’Alexandre, convoitait une royauté sur toute l’Asie. Gruen avance une idée générale convoitée par l’ensemble des Diadoque, à savoir le rêve d’un empire unifié et légitimé au détriment des concurrents. A contrario d’une perception générale, E. Will émet l’hypothèse de l’individualité que recouvrait la prise du titre royal. Ainsi pour Antigone il s’agissait de se revendiquer dans la légitime succession d’Alexandre, tant politique que géographique, là ou pour les adversaires de celui-ci il s’agissait d’une garantie acquise en vue de défendre son entité géographique. Quant à H. Bengtson, il analyse la prise du titre royal comme la récompense d’avoir "obtenu des succès militaires qui légitiment en eux-mêmes les démarches royales. Il n’y a plus un roi mais des rois qui s’appuient sur des territoires, dont la possession est justifiée par la conquête armée”. À la suite de la prise du titre royale, émerge le règne de Lysimaque. Celui-ci se confirme à mesure que la puissance de Démétrios décline. Une stabilisation des royaumes hellénistiques est perçue entre les années 290 et 280 ; l’Empire de Lysimaque est à son apogée. Celui-ci recouvre la Macédoine et l’Asie Mineure, dans son intégralité. Une telle étendue territoriale, marchant sur les traces d’Alexandre, interroge sur une éventuelle filiation avec l’idée de renouer avec l’œuvre d’Alexandre. E. Will indique que la situation conflictuelle ne pouvait permettre à Lysimaque de prendre le risque de perdurer l’aventure d’Alexandre. Après la disparition successive des derniers contemporains d’Alexandre la situation se polarise autour des royautés lagide et séleucide qui “semblent dominer l’Orient hellénistique et se stabiliser en tant que système politique”. Le IIIe siècle fut marqué par la guerre, notamment par le conflit qui oppose Séleucides et Lagides. Le IIe siècle voit l’affirmation Romaine et la chute des Royaumes hellénistiques. Ainsi l’étude se focalisera avant tout sur la construction des premières royautés hellénistiques et du conflit entamé par les Successeurs d’Alexandre après sa mort. La fin des royaumes hellénistiques sera abordée brièvement afin de s’interroger sur l’abandon éventuel de la figure politique d’Alexandre.

Alexandre le Grand apparaît comme un point d’ancrage dans cette situation conflictuelle qu’est la période hellénistique. La quête de légitimité semble être une des premières réponses à l’instabilité ou encore au conflit permanent qui a frappé de plein fouet les royaumes hellénistiques. En ce sens que, plus les royaumes hellénistiques se stabilisent plus la figure d’Alexandre s’éclipse. Cette légitimité, du moins cette quête, se traduit à travers la “construction politique”, comprise comme une perspective dépendant de la situation politique instable du moment. Ainsi, de manière générale, les Diadoques et les Successeurs semblent vouloir asseoir une domination géographique et politique à travers la figure d’Alexandre, mais également à travers la prise en considération des cultures locales. Il apparaît là un compromis culturel auquel Alexandre fut, auparavant, confronté.

Cette idée d’héritage dual est avancée par l’historiographie anglaise, à l’image de Michel Austin. Celui-ci, en effet, avance, à partir de l’exemple de Demetrius fils de Antigone le Borgne après la bataille Ipsus, l’idée que “Hellenistic kings are as predators”. En ce sens, leur légitimé dérivait en grande part de leur succès en campagne, de leur capacité à s’enrichir eux-mêmes, ainsi que de leurs sujets, et ce aux dépens des dynasties rivales. Par ailleurs, la “construction politique” dépendait de deux facteurs majeurs tout aussi important, à savoir, d’une part, la considération de l’héritage des cultures locales exprimée ainsi “the nature of Hellenistic monarchy was a mutual expectations of ruler and subjects” comme l’expression d’une garantie de siéger sur le trône et celui de l’héritage, partiel, d'Alexandre le Grand comme l’expression d’une démarcation à l’égard des autres gouverneurs ou royaumes. Démarcation, par ailleurs, souvent symbolique et doctrinale. Recouvrant la notion de “conflit”, l’armée était donc perçue comme l’un des moyens en vue de conforter une légitimité. Les caractéristiques militaires et symboliques sont également utilisées par O. Muller. En effet, celui-ci fournit une réflexion plus large sur la quête de légitimé, poursuivie par l’ensemble des Diadoques, à laquelle il ajoute la notion de “symbole”, en ce sens la référence à l’héritage politique d’Alexandre le Grand.

L’héritage d’Alexandre le Grand, compris comme la volonté réelle et finale d’Alexandre a longuement été discutée par les historiens et, sans nul doute, le restera pour longtemps au vu de la difficulté que cela implique. O. Jäger analyse la finalité de la conquête d’Alexandre telle un despotisme, sinon une "monarchie absolue”, qui rompt avec l’idéal antique, comme le souligne Eduard Meyer. À rebours de la pensée de Jäger, A. Köhler voit dans le durcissement du pouvoir d’Alexandre une synthèse des traditions macédoniennes et perses. Le durcissement du politique d’Alexandre, recouvrant l’idée d’un moyen, était-il subordonné à dessein plus grand ? Meyer voit à travers ce moyen, utilisé par Alexandre, des projets de domination universelle là ou F. Miltner perçoit un “lien institutionnel” autour de la figure du roi, afin de prévenir la “fragilité d’un empire disparate”. Comme le souligne P. Goukowski, la recherche d’un “dénominateur commun” en vue de fédérer l’Empire était l’une des principales préoccupations d’Alexandre, sinon même la condition de la survie de l’Empire. Dans ce sens, la thèse de C. Bradford Welles prend sens, à savoir que l’œuvre d’Alexandre fut essentiellement politique. P. Goukowski l’explique ainsi: “le conquérant sut donner une dimension nouvelle à la fonction royale en assimilant l’absolutisme royal, que les Grecs qualifiaient de despotisme, et en exigeant d’eux les honneurs réservés aux dieux” . Alexandre, sans doute, fut le propre initiateur de sa divinisation, élément clef de la fédération de l’Empire, et par là même les diadoques se serait retrouvé prisonnier de cette divinisation. Une approche inverse tend à penser, de manière générale, que la “politique” fut subornée à l’esprit de conquête, en ce sens que la politique serait le moyen de la conquête et cette dernière serait comprise comme le vecteur déterminant de l’œuvre d’Alexandre. L’œuvre d’Alexandre, dans une logique de conquête pure de l’œkoumène, serait une suite sans fin. Quoi qu’il en soit l’héritage d’Alexandre, perçu comme élément de transmission à la postérité, est de double nature.

Héritage comme prédisposition à partir duquel les Diadoques vont ériger leurs “constructions politiques”. Ainsi que l’héritage perçu par les Diadoques à travers la figure d’Alexandre comme moyen de légitimité. La première acception est soulignée par Bosworth. Considérée, selon lui, à tort comme un “anticlimax”, sinon une période de désintégration, Bosworth insiste sur la responsabilité de l’héritage de l’Alexandre, en ce sens la mémoire réelle pour la postérité, dans le processus de désintégration là ou les Successeurs ont tendu à être plus constructif. Seulement, “the competition for supremacy discouraged grandiose military adventures” et ce en raison du fait que le programme de conquête était risqué au regard d’une éventuelle invasion, sinon de la perte son territoire. Ainsi les Diadoques étaient soumis à l’impératif suivant: “to create the resources to protect one’s territory against invasion”. À travers la pensée de Bosworth, la “period can be regarded as one creation rather than disintegration”. Alexandre étant ici perçu comme l’élément léguant le conflit là ou les Diadoques sont perçus comme la force tentant d’inverser la situation léguée. La seconde acceptation met en avant l’idée inverse. Alexandre est perçu tel un bâtisseur d’Empire, léguant à sa postérité un Empire à édifier, sinon à perdurer, et unifiant deux univers bien différents, là ou la période hellénistique, incapable d’édifier quoi que ce soit, incarne l’idée du chaos, sinon du déclin. À travers les relations entretenues entre Alexandre et ses Successeurs se trouve une relation toute particulière oscillant entre “progrès” et “conflit”. “Progrès” telle la volonté, pour les Successeurs, de perdurer, ou du moins de se référer, à la mémoire d’Alexandre et “conflit” tel le moyen, sinon la finalité, pour y parvenir. Et inversement, “conflit” légué par Alexandre le Grand au travers l’échec d’une potentielle paix léguée aux Successeurs et tentative de ces derniers d’édifier ce legs quelque peu conflictuel et incertain aboutissant sur la notion de “progrès”.

Dans cette idée du “progrès”, comme volonté de perdurer l’œuvre d’Alexandre à travers de nombreuses références à sa personne, Paul Goukowski apporte quelques éléments clefs relatifs à l’idée de mémoire sélective à l’égard d’Alexandre (cf. soit l’héritage prélevé d’Alexandre par les Diadoques et les Successeurs en fonction d’une situation politique particulière visant à se légitimer à travers le personnage Alexandre le Grand). En d’autres termes, Paul Goukowski s’interroge sur la question du mythe d’Alexandre le Grand, à travers ses fondements politiques. Par fondements politiques, P. Goukowski souligne l’intérêt, pour les Diadoques et les Successeurs, de cultiver le mythe Alexandre le Grand. “l’on voit que cette célébration, d’où qu’elle vienne, tend à créer un mythe à proprement parler fonctionnel, en ce sens qu’il concourt à l’affermissement du pouvoir politique.”  Par ailleurs, l’auteur de l’Essai sur les origines du mythe d’Alexandre, insiste sur l’idée que “la valeur politique du mythe ne s’estompera qu’une fois les monarchies hellénistiques solidement établies.” Plus le “conflit” est important et la situation est instable plus la figure d’Alexandre fait surface.

Ainsi il apparaît donc, au regard du sujet de la mémoire d’Alexandre le Grand dans la “construction politique” des royaumes hellénistiques, différents éléments caractéristiques. À savoir tout d’abord l’idée d’une démarcation entre mémoire transmise, sinon l’héritage à partir duquel les royaumes hellénistiques vont ériger leurs constructions politiques, et mémoire sélective, sinon le processus de légitimation utilisé par les royaumes hellénistiques en vue de répondre à une situation particulière. À partir de ces notions clefs, s’ajoute les notions interchangeables, selon les angles d’attaque, de “progrès”, telle la volonté des royaumes hellénistiques de perdurer ou du moins de se référer à la mémoire d’Alexandre tel la marche à suivre par celui-ci, et de “conflit”, tel le moyen, sinon la finalité, pour parvenir, ou se référer, à l’œuvre d’Alexandre. Cependant l’une des deux semble prépondérante, à savoir la notion de conflit. En effet, celle-ci catalyse l’instabilité latente du début de l’ère hellénistique provoquant ainsi un manque crucial de légitimité. Il s’agira donc de s’interroger sur la corrélation entre instabilité et légitimité. En ce sens dans quelle mesure le processus de légitimation à l’égard de la figure d’Alexandre le Grand est-il lié à l’intensification du conflit et l’instabilité des politiques hellénistiques.

Il s’agira de s’interroger sur les recours utilisés par les royaumes hellénistiques pour prévenir cette instabilité mais également sur les moyens concrets mit en place ainsi que sur leurs formes respectives. Il s’agira de questionner ce qu’était Alexandre, par la mémoire transmise, et de voir ce qu’il est devenu, par la mémoire sélective. Par ailleurs, pourquoi et quels interêts recouvrent la figure d’Alexandre dans ce processus de légitimation. Incarnation de l’idée d’une figure politique indépassable ou bien celui du héros tragique compris comme la volonté d’être dépassé.


Sommaire :

I. Avant-propos : quels moyens de lecture théorique et pratique de l’œuvre Alexandre le Grand ?

A. Les sources antiques :

  1. Introduction : quels enjeux ?
  2. Les auteurs et leurs œuvres :
  3. La généalogie des sources :

B. Vers une histoire politique ?

  1. Aux origines de la conquête :
  2. Les mobiles de la conquête :
  3. Une œuvre essentiellement politique ?

C. Entre personnage conceptuel et héros tragique ?

  1. Alexandre le Grand : un sens pour l’histoire
  2. Le sens historique : le procédé mimétique et la notion de progrès
  3. Le sens politique : l’exemple du sens romain ou l’accomplissement de l’œuvre d’Alexandre
  4. La perception grecque d’Alexandre le Grand ?
  5. Les avertissements d’Aristote :
  6. La perception grecque et macédonienne :


II. “Le roi est mort, vive le roi” : Alexandre le Grand un modèle pour toujours ? De la mémoire transmise à la mémoire sélective

A. Quelle perception d’Alexandre par les historiens ?

  1. Analyse des tendances :
  2. Les origines de la fabrique de l’histoire :
  3. L’exemple de la politisation de l’histoire :

B. Quelle situation à la mort d’Alexandre le Grand le Grand ?

  1. Vers la désintégration politique de l’Empire ?
  2. Les conséquences politiques de la guerre et la dépendance militaire et politique à l’égard des populations locale :
  3. Quelle naissance des royaumes Hellénistiques ?

C. Les origines du mythe d’Alexandre : une édification personnelle nécessaire au service de la cohésion de l’Empire et la dépendance à l’égard d’Alexandre

  1. Alexandre et l’élément unificateur de l’Empire :
  2. À la recherche d’un élément fédérateur : sur les chemins de la légitimité ou la capacité à faire revivre Alexandre le Grand
  3. L’héritage d’Alexandre : la dépendance d’Alexandre dans le conflit des successeurs


III. L’ère des Diadoques ou la mémoire sélective : de l’intensification des conflits à la permanence d’Alexandre ?

A. Le temps du déchirement : l’héritage géographique et politique divisé

B. La Grèce :

C. La Macédoine et l’héritage d’Alexandre :

  1. Introduction :
  2. L’héritage politique : du souvenir macédonisé d’Alexandre le Grand à l’obsession de la légitimité ?
  3. L’héritage monétaire et financier : quel repère iconographique ?

D. Etudes des principaux Successeurs :

  1. Antigonos le Borgne : les Antigonides

a. Introduction :

b. L’héritage politique : le “fossoyeur” de l’Empire et la monarchie personnelle

c. L’héritage monétaire et financier : quel répertoire iconographique ?

  1. Lysimaque :

a. Introduction :

b. L’héritage politique : de l’amitié à l’imitation pour Alexandre le Grand

c. L’héritage monétaire et financier : quel répertoire iconographique ?

  1. Séleucos : les Séleucides

a. Introduction :

b. L’héritage politique : entre ressemblance et indépendance de l’image d’Alexandre le Grand

c. L’héritage monétaire et financier : quel répertoire iconographique ?


  1. Ptolémée : les lagides

a. Introduction :

b. L’héritage politique : Alexandre au service de la fédération du royaume

c. L’héritage monétaire et financier : quel répertoire iconographique

Conclusion : les leçons du modèle politique


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