La menace Perse dans les relations internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C

Les idées politiques d’Isocrate, exprimées dans son Panégyrique (v. 174), révèlent à elles seules toute la portée de la relation complexe qui unit les Grecs avec l’Empire sur la scène internationale.

La menace Perse dans les relations internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C
La menace Perse dans les relations internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C : les conséquences politiques du conflit - Louis du Pré

Les conséquences politiques du conflit

Introduction :

« Et il n’y aura jamais de concert entre les Grecs, à moins qu’unis d’intérêts, ils ne marchent contre l’ennemi commun dont la haine les aura réconciliés ».

Les idées politiques d’Isocrate, exprimées dans son Panégyrique (v. 174), révèlent à elles seules toute la portée de la relation complexe qui unit les Grecs avec l’Empire sur la scène internationale. Il semblerait qu’en une seule phrase, sinon quelques mots - unité, intérêt, confit, réconciliation, fédération, revanche, guerre, dépendance - Isocrate résume parfaitement les thématiques clefs de notre problématique : la menace Perse dans les Relations Internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C.

Le terme de menace induit différentes définitions selon l’interprétation que l’on en fait. La menace dépend de sa vocation première, clairement affichée pour contraindre par la force ou maquillée dans le but déstabiliser. La notion de menace est de différentes natures. Elle peut en effet revêtir une dimension politique, idéologique, militaire, économique, … Et avoir des degrés bien différents, réels voire parfois artificiels. La menace est avant tout l’interprétation d’un fait historique en cours qui mobilise une prise de conscience. Cette prise de conscience est généralement accompagnée par l’éventualité d’un conflit, sinon d’une opposition, et évidemment d’une réaction. Par conséquent, la menace est l’articulation d’au moins deux acteurs, sinon entités, dans une relation particulière.

Les modes opératoires contraignants sont propres à leurs siècles et périodes respectives. Historiquement, l’Antiquité mobilise, à travers la notion de menace, une réalité militaire, sinon une réalité conflictuelle. Le conflit dans les Relations Humaines, sinon les Relations Internationales, a des conséquences. Il est à noter qu’il n’y a qu’un pas entre les Relations Humaines et les Relations Internationales. En ce sens que les Relations Internationales ne sont que l’émanation, à une échelle plus importante, des relations qui existent entre les humains, sinon le groupe. Il s’agira d’interroger ces conséquences conflictuelles et de mesurer les valeurs de ce conflit d’un point de vue positif. Car tout conflit, positif ou négatif, engendre un changement. Et ce changement, tributaire du conflit, offre à l’historien des situations bien différentes et parfois improbables.

Il s’agira donc de questionner les différentes constructions qui ce sont faire grâce au conflit, sinon en réaction à celui-ci. Car celles-ci ne pourront être comprises que dans un contexte historique particulier. Ainsi ce contexte historique particulier est déterminant pour la pérennité de ces constructions. La notion de menace, sinon de conflit, est étroitement liée à la réalité impériale. L’Empire Achéménide s’est construit grâce à la contrainte militaire qu’il imposait à ses nouveaux sujets. En clair, l’Empire est une dynamique de conquête. Cyrus, en reversant les Mèdes, trace le sillon d’une construction impériale extraordinaire, un espace géographique embrassant les rives de l’Asie Mineur jusqu’aux rives de l’Indus.

Cette construction, cependant instable, s’appuie sur deux siècles de labeurs. Un Empire qui certes s’appuie sur l’appareil militaire pour agrandir sa souveraineté mais qui laisse apparaître quelques nouveautés, notamment une identité plurielle rassemblée autour de la figure du Grand Roi. Celui-ci entend être servi par les nombreux peuples de la terre. Son jardin, sinon son Empire, entend recevoir la terre et l’eau de chaque nation. Celles-ci sont invitées à accepter la soumission proposée par le roi Achéménide. En contrepartie de quoi, les cités peuvent garder leur identité. Sur la route de cet Empire en pleine expansion se trouve une vaste entité géographique éparse : le monde grec. Il est constitué politiquement de nombreuses cités qui jusqu’alors n’ont pas eu le souci, à l’exception de la « colonisation », d’étendre, au-delà de leur horizon géographique, leur souveraineté. Le monde grec des cités est frappé par une conscience de son environnement proche. Il a pour corollaire logique de nombreuses querelles intrarégionales mais peu de desseins internationaux. Le monde grec revêt une multitude d’affirmations politiques individuelles dans le sens ou il n’est nullement unifié mais plutôt segmenté. Cependant, une phase de maturation globale va lier cet univers autour de valeurs communes et partagées par tous. Ces valeurs sont en quelque sorte le dénominateur commun du monde grec. Celui-ci sera à l’origine de la réaction grecque face à l’appétit sans bornes de l’Empire.

Trois phases se dessinent dans les relations qui unissent le monde grec à l’Empire. Dans un premier temps (550-490), la puissance Achéménide, peu connue alors, émerge dans le monde grec. Dans un second temps (490-404), une réaction politique grecque s’érige contre l’Empire. Enfin dans un dernier temps (404-371), un équilibre des puissances apparaît entre les entités politiques dominantes de l’époque.

Le premier temps est chronologiquement assez important car il recouvre des héritages respectifs déterminants dans les futures relations que vont tisser l’Empire et le monde grec. Ce premier temps débute avec ce qu’Olivier Picard appel « l’irruption dans le monde grec » de l’Empire. Cette irruption dans le monde grec est matérialisée par la conquête de l’Ionie par les troupes de Cyrus, notamment la prise de Sardes en 546/5. Il s’agit d’une arrivée nouvelle qui bouleverse les affaires grecques, au sens large du terme politique. Ainsi, les affaires du monde grec ne se limitent dorénavant plus au monde grec lui-même. Celui est contraint d’intégrer dans ses affaires un monde géographique beaucoup plus vaste qu’il ne l’était auparavant. Celui-ci fusionne les relations de deux entités aux héritages différents. L’Empire tout d’abord, tributaire d’un passé fait d’empires et de systèmes internationaux, se positionne dans une dynamique de conquête. Le monde grec, frappé par une réalité géographique peu amène, se scinde en différentes entités qui trouvent pour dénominateur commun un corpus homérique aux valeurs biens affirmées. Si les Grecs semblent fasciner par la grandeur d’un Empire qu’il ne voit que pour la première fois, ils vont tenter, à titre individuel, de se servir de cette puissance pour tirer un bénéfice politique personnel. La relation est tissée. Cependant le conflit semble inévitable. L’Empire n’offre aux entités politiques grecques que la possibilité d’exister les mains liées. Deux corpus s’affrontent, l’autonomie politique et la liberté sont confrontées aux requêtes de la terre et de l’eau du Grand Roi. Les relations s’embrasent et vont donner naissance aux Guerres Médiques.

Le second temps concerne les multiples conséquences des Guerres maladroitement appelées Médiques : les conséquences politiques, comme l’intégration de nouvelles classes au sein de la politique défensive d’Athènes devenu nécessaire à son équilibre, ou encore les conséquences anthropologique, comme l’appropriation de l’histoire par l’homme qui passe par la glorification d’une nouvelle généalogie. Cette nouvelle édification unifiée, fuit de la guerre, passe par l’idéologisation de la terre comme lieux de mémoire. Cependant, il apparaît que cette unité grecque semble s’étioler tant entre les cités qu’au sein même des cités. Cela est sans doute le fait de la lutte des hégémon entre Spartes et Athènes. Cependant, les Guerres Médiques ont pour effet d’équilibrer les rapports sur la scène internationale, sinon de modifier la politique de conquête de l’Empire qui se contente d’accueillir sur son sol les Grecs déchus formant ainsi consciencieusement sa revanche.

Le dernier moment est le fruit d’un équilibre des pouvoirs orchestré par le Grand Roi. Le retrait officiel des Perses dans les affaires du monde grec a pour conséquence de briser l’unité fraîchement établie des Grecs. De nombreuses évolutions vont joncher le IVe siècle, l’hégémonie de Spartes ou encore la renaissance de l’impérialisme athénien. Quoi qu’il en soit la guerre permanente imposée par l’Empire a laissé des traces durables, avec notamment l’émergence du mercenariat qui accroît la dépendance à la valeur monétaire et change considérablement la nature des relations sur la scène internationale. Celle-ci est marquée par des Paix successives à l’initiative du Grand Roi qui s’impose comme arbitre des Relations Internationales notamment grâce à son or, l’argent étant devenu plus que jamais le nerf de la guerre. Ces Paix s’inscrivent dans la logique insufflée par Alcibiade, que l’on appellera la « politique d’Alcibiade ».

L’Histoire étant la fille ainé de la géographie, il ne va pas sans dire que pour comprendre l’étendue chronologique de ce propos, il nous faut poser un cadre géographique clair. D’un côté les Hellènes qui ont reçu pour héritage une terre hostile, sinon un carrefour des plaques tectoniques africain et eurasiatique. Une terre de passage donc ou s’illustrent des combats humains et naturels. Tout un symbole pour ce carrefour du monde dont 70 % à 80 % du territoire sont montagneux. Ces barrières naturelles se dessinent à travers la chaîne centrale du pays, le massif du Pinde notamment. La géographie du monde grec est hostile et façonne l’humain, ses choix, ses édifications et ses dessins. Essentiellement concentré sur la rive est de la mer Égée, allant de la Chalcidique à la Laconie, cet univers recouvre également un grand nombre de cités situées sur les rives d’Asie mineure, avec notamment Rhodes, Halicarnasse, Milet, Samos, Phocée, Kios, … Ce vaste territoire recouvre également les Cyclades. Il va de soi que les Grecs ont une propension naturelle à la mer, nullement part en Grèce on ne pourrait voir l’absence de la mer à plus du 100km enfoncé sur le territoire. Dans un climat géographie hostile, la mer apparaît comme élément très important. Dans cette logique de plaque tournante, inclinée particulièrement vers le monde eurasiatique, le monde Grec ne pouvait faire l’économie d’une rencontre avec l’Empire Achéménide, son plus proche et sérieux voisin. Celui-ci s’étend au nord et à l'ouest de l’Asie Mineure, en Thrace et sur la plupart des régions côtières du Pont Euxin ; à l'est jusqu'en Afghanistan et sur une partie du Pakistan actuels, et au sud et au sud-ouest sur l'actuel Irak, sur la Syrie, l'Égypte, le Nord de l'Arabie saoudite, la Jordanie, Israël et la Palestine, le Liban et jusqu'au nord de la Libye. Il évoque l’immensité, sans aucun doute, et la Grèce ne fait figure que d’une province en comparaison à lui. L’Empire partage sur les rives d’Asie mineure des territoires avec les cités grecques. Cette proximité réelle entre deux univers totalement différents est à l’origine du conflit que l’on pourrait comparer à David contre Goliath en quelque sorte.

Pour saisir l’ampleur de cette rencontre particulière entre deux conceptions du monde radicalement différentes, ils nous faut nous appuyer sur la lecture de sources contemporaines aux faits. Tout d’abord les sources archéologiques achéménides : les inscriptions royales qui renseignent quant à l’idéologie du Grand Roi ou encore la gestion des populations locales ainsi que leur traitement, les tablettes cunéiformes palatiales (trouvée notamment à Persépolis, Suse, … ) qui renseignent sur le versement du phoros très important pour comprendre la situation des cités grecques vivant sous la domination achéménide, les rations alimentaires qui offrent un renseignement direct sur les forces vives de l’Empire  et de leurs fonctions. Par ailleurs, nous avons également des tablettes privées qui renseignent de l’importance des centres au sein de l’Empire :  Babylonie et sa maison d’affaire, l’Egypte et la vie des garnisons de soldat, la Phénicie et sa force maritime. Dans un second temps les sources écrites, celle qui font parler les sources archéologiques. Celle-ci sont majoritairement grecques  comme le souligne Olivier Picard. Car en réalité nous avons très peu de sources laissées par l’Empire. Pour comprendre  il nous faut principalement utiliser des sources proches des textes de la religion du mazdéisme, l’Avesta notamment. Ce problème est récurrent en Grèce, notamment avec l’étude de Spartes ou l’on assiste à une histoire athénienne de Spartes. Cela pose d’emblée un problème de partialité. Cependant, nous avons quelques références concernant les historiens grecs plus favorable à l’Empire. Notamment Ctésias, médecin grec au service d'Artaxerxès II, auteur de Persica, dont la vocation fut de corriger la perception persane des grecques léguées par Hérodote, entre autres, dans son Enquête. Cette oeuvre a un intérêt réel selon Diodore de Sicile  qui en profite pour exploiter la production administrative perse présente dans Persica. Cette oeuvre est décriée par Lucien de Samosate  qui voit avant tout une source en réalité orale et peu fiable. En outre, elle est fustigée par Plutarque  qui néanmoins l’utilise dans sa Vie d’Artaxerxès. Enfin il est à noter que Photius réutilise son oeuvre au XIe siècle dans sa Bibliothèque. Un autre auteur semble moins critique vis-à-vis des Perses : Xénophon. Il est l’auteur des Helléniques qui portent sur fin Ve siècle et du IVe siècle. Il fait néanmoins l’apologie de Spartes. L’Anabase est fondamentale pour comprendre les mutations du IVe siècle, notamment du mercenariat. La Cyropédie analyse de manière comparative le pouvoir et l’éducation entre Grec et Perse. Enfin de manière classique, nous pouvons nous appuyer sur l’ouvre d’Hérodote, l’Enquête, véritable témoin des mentalités de l’époque. Le père de l’Histoire décrit avec attention l’opposition entre Grecs et Perses. Pour mieux comprendre l’immensité de l’oeuvre d’Hérodote, nous pouvons compter sur L’univers d’Hérodote rédigé par A. de Selincourt. Dans la continuité d’Hérodote, nous utiliserons Thucydide et son oeuvre La guerre du Péloponnèse qui décrit la relations des Grecs avec l’Empire dans le livre I et VIII. Cette oeuvre permet de nuancer l’opposition permanente d’Hérodote dans sa descriptions des deux rives. Car en effet, la thématique de l’opposition Grec et Perse n’est pas très présente dans la pensée de Thucydide. Pour comprendre la pensée de Thucydide nous nous appuierons sur Thucydide et l’Impérialisme athénien de Jacqueline de Romilly. Enfin nous utiliserons Diodore de Sicile et sa Bibliothèque Historique, des livres XI à XV qui porte sur l'expédition de Xerxès jusqu’à l’avènement de Philippe de Macédoine. Le philosophe et moraliste Plutarque est également essentiel, notamment ses Vies Parallèles et plus particulièrement : Vie de Thémistocle, Vie de Périclès, Vie de Alcibiade, Vie de Aristide, Vie de Lysandre, Vie de Cimon, Vie de Nicias et Vie d’Agésilas. Dans la relations qui unit les Perses aux Grecs, peuples des deux rives, la thématique de l’opposition est très présente chez Hérodote, elle l’est également chez certains orateurs ou poètes. Notamment dans Les Perses d’Eschyle, qui présentent les réactions grecques face à l’Empire, Les Acharniens d’Aristophane, le Discours de l’oraison funèbre et le Discours Olympique de Lysias, Sur la Paix d’Andocide, Sur la paix ou La panégyrique et L’aréopagitique d’Isocrate. Enfin Platon et sa République, les oeuvres d’Aristote, et le Pseudo-Aristote sont également très important pour saisir cette opposition.

Cette opposition a été décrite récemment par Olivier Picard dans un ouvrage intitulé : Les Grecs devant la menace Perse. Il s’agira donc, à partir de cette lecture clef, de s’interroger sur : « La menace Perse dans les Relations Internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C :  les conséquences politiques du conflit ».

De manière générale nous tenterons d’exposer les conséquences du Conflit en terme positif afin de mesurer les facteurs possibles et potentiels d’unité dans le monde grec. Il nous faudra pour cela tout d’abord nous intéresser aux réactions immédiates du monde Grec dans le contexte de l’émergence de l’Empire. Comprendre ainsi pourquoi l’Empire est-il interprété comme une menace. Il s’agira également de s’interroger quant à la pérennité de cette construction unifiée. En d’autres termes, de comprendre si celle-ci dépend de son opposition à l’Empire. Pour cela nous utiliserons un ouvrage fondamental et révolutionnaire : Le Conflit de Georg Simmel. Oeuvre qui a influé le fondateur de la géopolitique Américaine, Nicholas Spykman, et qui de manière générale appuie le réalisme dans les Relations Internationales, réalisme qui trouve justement ses racines chez Thucydide. Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous articulerons notre propos en trois parties.


Sommaire : L’émergence de la puissance achéménide dans le monde grec

A. Aux origines de l’Empire :
    1. Héritage historique et géographique
        a) La naissances des Relations Internationales 3000 ans avant JC ?
            1. Analyse théorique : comment définir les Relations Internationales ?
            2. L’historiographie anglaise
    2. Le fonctionnement impérial
    
B. Aux origines du Monde Grec :
    1. Héritage historique et géographique :
    2. Le fonctionnement du monde grec : un espace politique éparse
    
C. Les analyses grecques de l’Empire : les Dieux et Sardes
    1. L’importance du religieux à l’aune de l’analyse de Philippe Nemo :
    2. Autres analyses :
    
D. Les origines de la menace : une confrontation inévitable ?
    1. Les premières liaisons : entre décentralisation et esprit de conquête
        a. Une réalité «multi-confessionnelle» : des échanges culturels permanents
        b. «Tout empire périra» : un survie au prix de conquêtes 
            1. Analyse théorique et tragique du concept d’Empire autours de la vision de Jean-Baptiste Duroselle :
            2. La réalité historique : entre fragilités et conquêtes

    2. Quelle menace/conflit pour le monde antique ?
        a. Quelle forme de sociabilisation ?
            1. Une sociabilisation conflictuelle à l’aune du Conflit, Georges Simmel
            2. Les perses : un élément politique d’appuie majeur pour la conquête/accession au pouvoir (une ingérence acceptée)
            3. Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées

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L’émergence de la puissance achéménide dans le monde grec

« Roi des peuples », xšāyaθiya dahyūnām »

Pierre Lecoq, Les inscriptions de la Perse achéménide, Paris, 1997 pp. 136-136

S’intéresser à « La menace Perse dans les Relations Internationales grecques au Ve et IVe siècle avant J-C » suppose déjà de s’intéresser aux héritages historiques du monde grec et de l’Empire achéménide. Comprendre en quelque sorte ce qui a rendu possible ces deux univers différents. Dans un premier temps, il s’agira de questionner l’héritage politique de l’Empire achéménide afin de faire émerger la présence certaine d’un système des Relations Internationales présent bien avant son apparition. A partir de cette analyse, il s’agira de s’intéresser au fonctionnement de l’Empire et du monde grec pour comprendre leur cadre d’interaction et les motivations de leur conflit. L’émergence de la puissance persane dans les affaires internationales bouleversent l’univers grec. Il s’agira dans un premier temps de s’interroger sur les types d’analyses produites par les grecs.

Aux origines de l’Empire :

 Héritage historique et géographique :

  La naissances des Relations Internationales 3000 ans avant JC ?

   Analyse théorique : comment définir les Relations Internationales ?

L’histoire est faite de nombreux groupements humains à des échelles différentes. Tout groupement suppose une hiérarchie ou du moins une organisation, en ce sens des relations humaines. Ces relations humaines sont comparables, en tant qu’organisation, à un bande d’ami selon le sociologue Georg Simmel. Ce dernier, en bon sociologue, soulignait déjà au XIXe siècle que c’est l’agencement des groupements humains qui forment les Relations Internationales. En clair, il considère le groupe humain de petite entité comme un échantillon d’une institution à plus grande échelle. C’est donc à travers la bande que l’on peut analyser les types de relations d’une échelle nettement supérieure. Si l’organisation des relations humaines est similaires, son échelle dépend de son déploiement géographique.

Nous est-il donc permis de parler de Relations Internationales sous l’antiquité ? Cette discipline est-elle circonscrite à la période contemporaine ? Ou bien, au contraire, peut on la questionner dès l’Antiquité ? Les Relations Internationales ne sont-elles pas en réalité le couvre chef d’une articulation autrement plus importante qu’est le groupement humain déployé et articulé à différentes échelles ? Au delà du terme nation recouvrant un concept contemporain, peut-on s’interroger sur les relations des différents groupements humains à des différentes époques ? L’historiographie contemporaine  dans sa petite majorité emploie le terme de Relations Internationales à partir de la construction de la nation au XIXe siècle.

Percevoir déjà des Relations Internationales dans l’antiquité est audacieux. Une telle démarche suppose également de rompre avec une vision historique téléologique analysant le passé dans l’ombre du présent. Si l’histoire se structure dans le temps long, à la suite de différentes imbrications, il n’en demeure pas moins qu’elle révèle ses richesses à toutes les périodes de l’histoire ; richesse intellectuelle, spirituelle, matérielle, ... etc. L’idée donc de cette supposition est qu’il existe en substance quelque chose d’inchangé - les relations humaines ainsi que la structure qui les compose - là ou la forme que ces relations prennent sont volatiles. Il s’agit donc de continuer ce questionnement à travers les méthodes qui le rende possible, pluridisciplinarité et transversalité, pour s’interroger sur l’univers antique des Relations Internationales.

Cette question recouvre en réalité la question des forces motrices du groupement humain, à savoir quelle forces apparaissent prépondérantes dans un système de perceptions. La guerre, sinon la conquête, apparaissait déjà comme l’une des forces motrices de l’ancien monde ; guerre au service de l’éleuthéria, guerre au service d’une suprématie économique, guerre appuyée par une suprématie divine, conquête personnelle, ... etc. De toutes évidences, la guerre, dont l’origine est le conflit dans les relations humaines, demeurera toujours. Elle fait partie de l’histoire, de la supériorité de l’Homme dans les relations humaines, et est même une forme de sociabilisation humaine selon Georg Simmel.

L’historiographie anglaise :

« Or, si fortes qu’aient été les influences mésopotamiennes, elles n’ont pas empêché les Perses de tirer profit de tout ce qui pouvait leur paraitre beau, agréable ou utile »

Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 50

Différents auteurs anglo-saxons  se sont penchés sur la question pour en déduire que déjà l’Antiquité orientale avait connu une forme de Relation Internationale ainsi qu’un Système le composant. Cela suppose que les institutions ne sont en réalité que le reflet de l’articulation du groupe humain sous différentes formes : étatique, royale, tribale, impériale, fédérative, collective, ... etc.

Selon Marc Van De Mieroop l’antiquité aurait connu son premier système des Relations Internationales durant la période de l’âge du bronze tardif “during the centuries from 1500 to 1200 the Near East became united in an international system that involved the entire region” . Historiquement et politiquement, cette période est caractérisée par la présence de nombreux acteurs, partagés entre clubs liés aux grandes et petites puissances. Établir une différence entre Grande Puissance et Petite Puissance implique logiquement une hiérarchie entre eux. Parler de club implique de parler de relations. La période de l’âge du bronze récent nous montre différents types de relations, à savoir : les mariages mixtes, les échanges de services, les cadeaux, les traités de négociation, etc. Cet événement historique marque un changement dans le paysage politique, passant d’un monopole unilatéral au multilatéralisme. Géographiquement, la période couvre la région interdépendante de l’ouest de l’Iran à la mer Égée et de l’Anatolie à la Nubie. La notion d'interdépendance est directement liée au concept de système international.

Tout comme la période de l’âge du Bronze tardif s’inscrit dans la continuité de l’Empire Akkadien et la centralisation de la dynastie de Ur, l’Empire Achéménide s’inscrit dans cette continuité. En quelques sortes, les événements historiques précédents ont rendu possibles l’Empire achéménide. Son héritage politique est donc très riche.

L’historien R. Cohen  définit un Système International, composé de différents États ou interactions de pouvoir, par l’acceptation de règles communes. En outre, le concept de Système International fonctionne avec différents types d’organisations, par exemple une organisation fondée sur l’équilibre des pouvoirs ou la suprématie. Le cadre des relations entre le monde Grec et l’Empire Achéménide s’inscrit dans ces interactions de pouvoirs.

Mais lorsque nous parlons d'ancien Système International, nous nous heurtons immédiatement à un problème. Avons-nous un fossé entre la perception ancienne et contemporaine du Système International en raison du mot nation ? Est-ce anachronique d'utiliser ce mot ? Comme l’ont montrés les deux historiens cités, ci-dessus, le sens véritable du mot international correspond à une réalité dépassant le stricte cadre contemporain.

Le fonctionnement impérial :

Comment définir, dans ses grandes lignes, le fonctionnement de l’Empire achéménide ? L’Histoire de l’Empire Perse de Pierre Briant nous offre une description exhaustive, enrichie par Hérodote. L’Empire Achéménide tire son nom de son génos fondateur, dont la dynastie régnante débute avec Cyrus le Grand. La dynastie achéménide est indo-européenne. Celle-ci se libère de la tutelle des Mèdes circa 550. Cyrus réalise une expansion territoriale importante, avec notamment l’Asie Mineur. Cette politique d’expansion sera continuée par ses successeurs. A son apogée l’Empire représente quelques 3 millions de km carrés. Il se démarque par une organisation particulière. Hérodote (III, 89)  expose son organisation : soit une vingtaine de satrapie avec à leur tête une capitale. Ces satrapes sont les « yeux » et les « oreilles du Roi » . Organisation qui fut, comme le rappel Pierre Briant , présente sous Cyrus le Grand. Ces satrapies correspondent avant tout à des réalités d’ordres économiques (III, 89) . L’Empire apparait donc comme une structure très organisée : des relations encadrées géographiquement et politiquement par la figure centrale du Grand Roi. On trouvera sans doute cette origine dans l’héritage exposé ci-dessus. Les « clubs » présent autrefois dans l’âge du Bronze tardif ont cédés leur place aux élites locales comme l’exprime Pierre Briant : « c’est bien au contraire en s’appuyant sur les élites et les traditions locales que Cyrus et Cambyse ont tenté d’imposé un nouveau pouvoir » . La diversité culturelle de cette région marque également la politique des rois achéménides. Pierre Briant parle de pouvoir central et de polycentrisme culturel . En ce sens, « on doit plutôt admettre que les innovations se sont greffées de manière différenciée, par adaptation des conquérants aux cadres socio-politiques et culturel spécifiques du peuple conquis par la force et les armes ». En réalité, si les barbares manifestent une très grande tolérance pour les peuples soumis, c’est  que l’important réside dans le tribut. L’argent doit, en effet, rentrer dans les caisses royales. L’idéologie de cet Empire ne cible pas la conquête culturelle : « les perses ne cherchèrent pas à diffuser ni leur langue ni leur religion. Chaque peuple continuait de parler sa propre et d’utiliser le système d’écriture qui était le sien » . Une fois de plus on retrouve en parti le système présent lors de l'âge de Bronze tardif. Les Achéménide sont polythéistes et leur roi est sacré par dieu. Il croit au mazdéisme, dogme théorisé par Zarathoustra ou Zoroastre, d’origine indo-européenne.

Si la conquête impérial efface les royaumes hégémoniques (Médie, Lydie, Babylonie, Egypte), il n’entraine donc pas la disparition des entités politiques locales et « les ressorts administratifs furent plus probablement modelés sur des structures politico-territoriales préexistantes ». Cependant nous assistons bel et bien à une unité impériale que nous décrirons dans le chapitre consacré aux « spécificités impériales ». Cette unité décentralisée, hérité d’une réalité politique plus ancienne, résulte  également de la réalité géographique de la zone. Le monde grec est particulièrement touché par cette réalité géographique.

Aux origines du Monde Grec :

 Héritage historique et géographique :

La période archaïque nous intéresse tout particulièrement. Celle-ci provient du mot ἀρχή qui signifie le début, sinon commencement le quelque chose. Comprendre l’héritage politique du monde grec, c’est tout d’abord s’intéresser à la géographie. « L’histoire est fille de la géographie » comme l’explique Francois Lefevre . En quelque sorte elle est le corps à partir duquel on érige, sinon théorise, des perspectives politiques. Il va de soit que cette spécificité est capitale car elle induit un certains nombres de nécessité, des schémas de pensés, et donc une perception toute particulière du monde qui l’entoure. Un premier fait  est d’importance cruciale : l’importance des montagnes. En effet, la Grèce est un pays montagneux à 75%. La montagne représente donc un obstacle naturel à l’unité et donc une voie naturelle au cloisonnement. Un autre élément est également présent : la mer toujours située à moins de 100km d’un quelconque point de territoire. L’émergence de la polis correspond avant tout à une réalité géographique. En quelque sorte le politique émane de la géographie et non l’inverse. En ce sens parler du monde grec à cette époque, en tant qu’unité, ne renvoie qu’à une désignation purement géographique et nullement politique.

L’arrivée de l’alphabet, mis au point sous le géométrique ancien, favorise l’éclosion de l’appareil étatique. En effet, l’alphabet est un instrument de rassemblement autours du politique car il permet l’écriture. L’écriture à pour vocation d’inscrire les choses sur le long terme, contrairement au tradition orale de l’époque.

La forme d’organisation politique en Grèce antique qui voit majoritairement le jour est la polis. Comme toujours certaines cités échappent à cette organisation politique, notamment en Etolie ou en Epire ou l’organisation s’opère en Éthné. Claude Mossé, dans son ouvrage La Grèce archaïque d'Homère à Eschyle, nous parle de ce passage de la dépendance à la démocratie au sein de la cité. L’ouvrage de Francois Lefevre, Histoire du monde grec antique (chap. VIII, XI), est fondamentale à ce sujet. Comment s’articule ce passage ?

Nous pouvons résumer cette inclination vers la polis en phases distinctes : l’âge monarchique (un basileus entouré d’un conseil d’aristocrate et parfois assemblée populaire, mais souvent fantomatique), l’âge de la répartition du pouvoir (un basileus voire plusieurs basileis entourés par différentes magistratures), et enfin la tentation de l'isonomie (soit la multiplication des magistratures, la limite dans le temps, la non répétition des mandats, la cohabitation, le tirage au sort, le vote).

La polis de manière générale s’articule autours d’une autonomos régit par ses propres lois. C’est l’un des caractères fondamentaux dans la notion de confit qui l’oppose aux perses comme nous le verrons dans le chapitre intitulé : « Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées ». En outre la cité est indépendante, l’éleuthéria est là pour garantir cette indépendance. Dans la plus part de ces poleis cela débouche sur la mise en place logique d’une chora, un centre urbain. Le corpus politique marque le corps urbain de la cité et son architecture. Même si certaines poleis ne suivent le mouvement, notamment Spartes. Spartes qui fait figure de polis singulière. Là ou la plus part des cités sont entourées de fortifications, l’esprit de la cité de Spartes incite à ce que le rempart soit au fond de chaque spartiate. Un homoioi donc, sinon un semblable, est orienté tel un citoyen soldat avant toutes choses.

L’appréciation d’une polis dépend : - de son essor démographique, de ses cultes, de sa défense et la capacité de prendre des décisions collectives. La cité fait corps, en quelque sorte, lorsqu’elle est puissante. Les cultes ont pour conséquence une possession de l’espace temps. En ce sens, la capacité à se situer dans le temps à partir des généalogies mythiques. Ces constructions généalogiques symbolisent l’appropriation du temps, sinon ancrage particulier.

Elle se constitue par regroupement humain, comme l’explique Jean-Pierre Vernant dans les Les Origines de la pensée grecque, autours d’un dénominateur commun, généralement un héros commun. A travers ce partage commun réside, atours d’une figure divine, en réalité, une acceptation commune de règles et de valeurs. On se sent d’avantage appartenir à une communauté. On se sent avant tout Athéniens, Argiens, … Outre le premier cloisonnement qu’est la géographie, ce sentiment d’appartenance le renforce. Il est vraisemblablement, comme expliqué ci-dessus, la conséquence de cette géographie abrupt. Cependant ces politai, élément clef de la polis, sont peu nombreux. Le premier clivage s’inscrit donc entre les poleis grecques. Les guerres de clochers sont nombreuses pour reprendre l’expression de Mr Francois Lefèvre. Le deuxième clivage s’inscrit contre le barbaros (Hérodote, II, 50-158) , à savoir le non hellénophone. Celui qui parle un charabia non compréhensible . Ce sentiment d’appartenance impose aux politai de prendre une part active dans les affaires de polis. Cependant, il est à noter l’importance de génoï, à savoir des groupes de sociabilité ou de parenté élargie, ou clans aristocratiques qui se battent pour le pouvoir. Cela est extrêmement important pour comprendre les interactions avec les perses, nous approfondirons ce sujet dans dans le chapitre intitulé : « Les perses : un élément politique d’appuie majeur pour la conquête/accession au pouvoir (une ingérence acceptée ?) ». Les relations internes au monde grec semblent donc propices aux « guerres de clochers ».

Le fonctionnement du monde grec : un espace politique éparse

Les conflits, sont en effet, nombreux dans le monde grec. A commencer notamment par la guerre sacrée, à l’initiale de l’amphictyonie. Mais d’autres conflits illustrent cette situation : la bataille des Champions  entre Spartes et Argos, les guerres entre Naxos et Paros en concurrence permanente (Hérodote V, 28) , ou encore les différentes interventions d’ingérence entre Spartes et Athènes. Ces différents faits démontrent une situation politique non unifiée et conflictuelle dans les relations grecques. Il y a donc une présence de conflit réelle avant l’émergence des Perses dans les affaires grecques.

Intéressons nous à cette situation politique avant la conquête de l’Asie mineure par les Perses. Tout d’abord apparait un manque d’unité flagrant. Aucun hégémon règne sur la Grèce. En effet, la Grèce fourmille d’entités plus ou moins indépendantes les unes des autres. Cette absence d’unité marque l’opposition déloyale de deux entités bien différentes (la Grèce et l’Asie) à tous points de vu. Là première est hyper organisée et unifiée autours d’une figure centrale et royale là ou seconde est en proie à des querelles liées au caractère individuel basé sur une identité propres (cité Poliade). Si la préoccupation de l’Empire réside dans un caractère géographiquement élargi, la première préoccupation de la polis réside dans ses affaires environnantes. On peut ainsi déduire que la préoccupation majeure de ces poleis résident dans leur environnement géographique proche. On inclut dans le sens « environnement géographique proche » la dimension du commerce , sinon des réseaux d’échanges  présents mais peu majoritaire. Si la « colonisation » agrandit quelque peu ce champs de préoccupation, il répond avant tout à une réalité politique de crise, la stasis. Cette colonisation ne répond donc pas, à l’origine, à une volonté de conquête du monde, et par conséquent, à une préoccupation géographiquement plus élargie du monde, mais plutôt à un situation politique déterminée par les affaires de la cité mère. L’Empire achéménide semble donc être une occupation bien étrangère, puisqu’il n’interagit pas directement dans l’environnement de la polis. Il n’existe donc pas à ce stade de conscience politique et l’émergence des Achéménides dans les monde grec n’entraine en aucune manière une réaction unitaire.

En effet, la conquête de l'Asie Mineure et des cités d'Ionie par les Perses n’entraine pas réellement d’opposition. Organisée religieusement, sans réelle efficacité politique , l’Ionie est réputée pour sa production littéraire et philosophique. Le philosophe pré-socratique Xénophane de Colophon s’y est particulièrement démarqué. Son éviction de Colophon représente cependant tout un symbole. En effet, Werner Jaeger  rapporte que Xénophane exposait ses théories philosophiques dans la langue d’Homère, langue pan-panhellénique ; premier signe de maturité politique donc. Présenté sous forme de poème, on pourrait supposer que ces écrits, pionniers, ont contribué à faire émerger l’unité du monde grec. Ses écrits, pour la plus-part perdus, se trouvent dans un des traités d’Aristote, intitulé De Mélissos, de Xénophane, et de Gorgias. Platon  nous renseigne également  sur l’oeuvre de Xénophane. Il est intéressant de voire que Xénophane dénonce le polythéisme et l’anthropomorphisme au profit d’un dieu unique dirigeant tout l'univers par l'effet seul de sa pensée. Ce schéma de pensé renseigne d’avantage sur la perception du Politique que pouvait avoir Xénophane. En effet, si le polythéisme renforce le déploiement multiple des poleis, au caractère individuel légitimé par une/des croyances divines particulières, la croyance en un Dieu unique favorise l’unité politique puisqu’elle a pour vocation première de rassembler. Il y a donc dans la conquête de l’Ionie par les Perse, de manière symbolique, une attaque à l’encontre d’un esprit définitivement pionnier, qui par sa pensée à produit, en amont, une réponse politique embryonnaire à l’Empire. L’absence de toute réaction réelle à cette conquête révèle l’état de maturité d’une quelconque opposition unitaire.

Hérodote nous rapporte cette conquête persane : « ce prince donna ensuite le gouvernement de Sardes à un Perse, nommé Tabalus ; et, ayant chargé Pactyas, Lydien, de transporter en Perse les trésors de Crésus et des autres Lydiens, il retourna à Agbatanes, et emmena Crésus avec lui, ne faisant point assez de cas des Ioniens pour aller d'abord contre eux. Babylone, les Bactriens, les Saces et les Égyptiens étaient autant d'obstacles à ses desseins. Il résolut de marcher en personne contre ces peuples, et d'envoyer un autre général contre les Ioniens. » La maitrise du royaume de Lydie est suivit par l’établissement Perse. Il y a donc dans cet établissement un projet à long terme puisque Sardes est confiée à un Perse. Il ne faut pas voire une simple occupation passagère de l’Empire. Par ailleurs, Hérodote souligne le dessein du Grand Roi. En ce sens persévérer dans la conquête et l’agrandissement de l’Empire. Cela renforce davantage l’idée d’une absence de réaction grecque, sinon l’absence d’une solidarité commune réelle.

La menace perse à l’égard des spartiates ne semble pas entrainer une réaction immédiate. Hérodote rapporte les propos du Grand Roi Achéménide en ces termes : « je n'ai jamais redouté cette espèce de gens qui ont au milieu de leur ville une place où ils s'assemblent pour se tromper les uns les autres par des serments réciproques. Si les dieux me conservent la santé, ils auront plus sujet de s'entretenir de leurs malheurs que de ceux des Ioniens. » . Une fois de plus Hérodote souligne, subtilement, le degrés de responsabilité du monde grec, incarné par Sparte cette fois-ci, quant à leurs inquiétudes concernant l’environnement proche et lointain. Par ailleurs, ce qu’Hérodote souligne dans ces propos retranscrits, c’est le modèle politique de la cité qui est remis en cause par l’Empire. Il y a là une description plus politique, dans laquelle nous détaillerons l’importance dans le second second chapitre. Hérodote, appartenant au Ve siècle, écrit avec l’environnement politique de son siècle. Environnement qui diffère largement du VIe siècle.

A partir de cette situation évidente, savoir l’absence d’unité dans le monde grec d’une part et préoccupation géographiquement proche des poleis d’autre part, il s’agit de questionner la réception de la conquête achéménide par les grecs. En quelque sorte, de comprendre quels ont été les outils de perception qui ont déterminés les premiers liens tissés avec l’Empire. Cela est capital pour appréhender sereinement la notion de conflit dans le basculement du VIe vers le Ve siècle.

Les analyses grecques de l’Empire : les Dieux et Sardes

 L’importance du religieux à l’aune de l’analyse de Philippe Nemo :

« En inventant ainsi l’État grec régi par une raison publique, les Grecs ont paradoxalement inventé la religion (…) c’est à dire une certaine relation verticale de l’homme à Dieu »

Philippe Nemo, Qu’est-ce que l’occident,  PUF, Vendôme, 2004 p. 13

Pour analyser cette réception du monde grec, il nous faut donc nous questionner sur univers, son état d’esprit et sa maturation politique. En effet, l’Homme se présente avant tout le comme le produit de son siècle, à de rares exceptions telles Xénophane de Colophon par exemple. Il perçoit et interagit donc avec les outils qui sont les siens.

Philippe Nemo, s’appuyant sur Jean Pierre Vernant, analyse et offre un compendium de qualité pour comprendre ce basculement de la maturité politique. Il parait évident, que ce basculement ne s’opère pas dans une délimitation chronologique clairement donnée, mais évidement sur le long terme. Il analyse un changement de taille, à savoir l’intégration du religieux dans le politique. En ce sens, il différencie deux systèmes présents dans l’antiquité. Le premier, dans lequel le religieux, en tant que finalité absolu, commande à la sphère collective et le second, dans lequel le politique commande au religieux. Ce changement, est opéré par le monde grec du VIe et Ve siècle. Il procède d’une mutation d’un système ancestral vers ce que nous pourrions appeler actuellement la « religion ».

Le premier système relève de la cohésion du groupe. A savoir qu’il est une orientation horizontale ayant pour vocation de souder le groupe humain autour d’un mythe et de croyances. Il fut, en quelque sorte, la forme unique du lien social. Autrement dit, le ciment de l’ordre social assuré par la catharsis de la violence opérée par le rite conformément au mythe.

Le second système relève d’une modification de taille : l’émergence de l’État. Celui-ci a pour fonction d’assurer l’ordre social en punissant les crimes en application de lois humaines. La religion devient socialement inutile et change de statut car le culte est subordonné à l’État, comme en témoigne, en parti, les cultes poliades. Le Politique commande donc au religieux et non l’inverse. Le mythe laisse place aux hypothèses du cosmos, du sens de l’homme et de son harmonie dans la polis. En contre partie apparaissent des formes de religiosité privées comme les mystères, les confréries, les spéculations philosophiques sur le divin…

Toutes ces questions relatives au cosmos, relevant d’une maturité de questionnement, placent l’Homme devant le problème des Dieux. Son comportement est donc lié aux suppositions sur le divin, à une forme téléologique  en quelque sorte « définit comme une discours sur les Dieux » . Ces donc ce discours de Dieu, sinon des Dieux, qu’il faut questionner pour comprendre la perception des grecques, les notions d’hubris ou encore de fatum sont fondamentale. L’hubris est intimement liés à la tragedia, dont le genre théâtral se développe essentiellement à Athènes dans la deuxième partie du VIe siècle. Ces deux notions, hubris et fatum correspondent à une projection théorisées sur les Dieux pour comprendre la place de l’homme dans l’univers qui l’environne, en ce sens la « vie bonne pour les mortels » qu’Hésiode et Homère avait déjà, dans leur temps, tâchés d’expliciter. En ce sens, l’émergence du monde Achéménide, est perçue à travers ces grilles de compréhension.

Analyses grecques de l’Empire :

L’analyse grecque des perses se construit à travers deux faits très importants : dans un premier temps la chute de Sardes qui voit l’arrivée de l’Empire dans les affaires grecques et dans un second temps l’implantation de palais satrapiques dans le monde grec, symbolisant un relais de l’idéologique impériale.

De manière générale la chute de Sardes est l’illustration des rapports entre les Dieux et les Hommes. L’art picturale de l’époque a tenté, en témoin de la pensée des hommes, de représenter ce rapport. Le peintre Myson  a représenté Crésus sur une amphore attique (circa 500-480) . Deux faces sont représentées. Sur la première face, Myson représente Crésus montant sur le bûcher, après sa défaite en 547 av. J.-C. contre Cyrus. Une pluie miraculeuse est envoyée par Apollon, le sauvant des flammes. Sur la seconde face, le peintre représente l’enlèvement de l’amazone Antiope par Thésée et son ami Pirithoüs. Ici, l’interprétation a souligner est la pluie divine. Il y a là quelque chose de fondamentale : les grecs ne peuvent se départir de ce malheur sans l’aide des Dieux. C’est avant tout une réponse religieuse que Myson décrit. Les richesses de Crésus et sa supériorité n’ont pu forcer le destin de l’histoire. Il s’agit là, à proprement parler, d’une réalité tragique. En ce sens, que la destinée de l’homme ne dépend pas essentiellement de ses richesses terrestres, et les dieux y sont nettement supérieurs. C’est donc à travers l’aspect religieux qu’il faut regarder la conquête de l’Empire. Car si les Perses ont conquis l’Asie mineur cela est dû essentiellement au divin. Hérodote (I, 204) expose ce rapport en les Dieux et les hommes  : « ou il désirât porter la guerre, il était impossible au peuple d’y échapper ». Même si le « père de l’histoire » fut souvent critiqué pour ses approches, parfois, peu rationnelles, relevant d’une justification divine, il n’en demeure pas moins qu’il est très interessant pour comprendre l’esprit de l’époque. Dans ses propos, ressort la notion de destin, fatum ou moira. En ce sens que les peuples ne peuvent y échapper. Il s’agit en quelque sorte d’un ordre voulu pour l’histoire et orchestré par les dieux. Cette vision divine de la guerre est appuyée, à de nombreuses reprises, par Hérodote (I, 78) . Il semble donc que l’Empire soit représenté, dans l’esprit du temps, comme une dynamique d’ordre divin. Comme en témoigne le spectacle des serpents et des chevaux auquel Crésus assiste impuissant. Il faut voire derrière cette scène sur-réaliste, la représentation perse de la cavalerie et de sa puissance.

La seconde analyse de la chute Sardes est liées à une description rationnelle présente également chez Hérodote (I, 162 ; VI, 16)  ou encore chez Eschyle (Les Perses, v. 16-92) . Cette description rationnelle chevauche la justification divine. Elle recouvre la thématique de la puissance militaire en décrivant des savoirs et techniques particulières. La poliorcétique, par exemple acquise au contact des Assyriens et Lydiens ou encore le terrassement sont des éléments d’explications de la conquête de l’Asie Mineur. Il faut, néanmoins, percevoir en filigrane, derrière cette description de la puissance, que l’ordre divin est en quelque sorte un moteur dans le déploiement de l’Empire ; Empire qui exerce toutes formes de fascination et de rejets à la fois.

Le thème de la fascination est évoqué par Olivier Picard . Il révèle que les grecs ont connu la monarchie achéménide avant tout grâce aux satrapes d’Asie mineur. Leur perception des Perses a notamment été marqué par la grandeur des palais. L’Économique de Xénophon, de manière quelque peu anachronique, nous rapporte une description palatiale . Celle-ci est très importante car elle a l’origine du contact avec les Grecs. Ainsi, les grecs, au travers des constructions palatiales, perçoivent un certain faste, sinon une grandeur clairement affichée. Ces satrapies, faisant corps avec la royauté Persane, sont des relais d’influence de l’Empire comme le souligne Pierre Briant ; « un reflet de l’idéologie monarchique » . Xénophon expose l’idée d’une perfection, puisque qu’il parle de l’une « des plus belles terres ». La terre est fondamentale car elle constitue la richesse fondamentale de l’État. Par conséquent, il faut la préserver et la fructifier. Il en va de même pour « les forces productives ». Hérodote abonde dans ce sens et souligne une politique nataliste (I, 136)  afin de lutter contre l’oliganthropie. Outre le caractère très important que revêt la terre, dans un monde grec frappé par un idéal autarcique, Xénophon parle de la polyvalence entre le soldat et la terre. Il est ainsi rappelé au soldat la nécessité de son combat, justifiée par l’importance de la terre. Toutes ces caractéristiques de l’Empire exercent une forme de de fascination. Xénophon parle ainsi d’une corrélation entre les « travaux de la paix » et les « travaux de la guerre ».  L’architecture des ces palais et ses « paradis » témoignent dans le sens de cette polyvalence entre la terre et le soldat. Cette fascination n’est sans doute pas étrangère dans les échanges culturels permanents entre l’Empire et le monde grec.

Les origines de la menace : une confrontation inévitable ?

 Les premières liaisons : entre décentralisation et esprit de conquête

  Une réalité « multi-confessionnelle » : des échanges culturels permanents

Il semble important de s’intéresser aux échanges culturels entre l’Empire et le savoir faire grec ; tout conflit n’écartant pas un enrichissement mutuel. Olivier Picard dédie un de ses chapitres aux grecs partis servir le Grand Roi . Ils sont nombreux. Cet échange est dû à une particularité de l’Empire perse, « l’ouverture avec laquelle il accueille les apports des peuples conquis et des peuples voisins » . Autrement dit, le Grand Roi « agit comme un grand seigneur qui entend être servi de la meilleur manière possible »  comme l’explique Hérodote (I, 135) .

Le premier exemple de ces échanges culturels est Démocèdes de Crotone. Esclave (Hérodote, III, 129) ,  Démocèdes, en tant qu’Egyptien, fut traditionnellement choisit par Darius pour le soigner (Hérodote, III, 130)  et devint son médecin traitant. Hérodote note au passage les méthodes appliquées par ce médecin : « Démocèdes le traita à la manière des Grecs ». Cette méthode de traitement s’explique par le fait que Démocèdes fut, dans les années passées, au service de Polycrate de Samos (Hérodote, III, 131) . Une fois la confiance de Darius acquise, Démocèdes soigna Atosse d’un cancer du sein (Hérodote, III, 133-34) . Dès lors à Suse, Démocèdes laisse uniquement dans son sillage des médecins grecs, tel Appolonidès de Cos notamment.

Le second exemple porte sur les marins et explorateurs, à l’image de Scylax de Caryanda (Hérodote, IV, 44) . L’expédition, en vue d’un repérage géographique du monde environnant, débute à Caspatyre pour se rendre jusqu’au golf de Suez . Cette appropriation du monde, sinon « cette curiosité impérialiste », participe à l’avancée des connaissances scientifiques. A la suite son expédition, Scylax de Caryanda rédigea un ouvrage, le Périple, qui participa à l’éveil des connaissances grecques sur l’Inde. Hérodote (III, 135-137)  rapporte que Démocèdes s’est vu également vu confié une mission de reconnaissance géographique, les côtes de la Grande Grèce.

D’autres exemples illustrent ces liens et échanges culturels, notamment ceux concernant les oeuvres architecturales. Mandroclès fut l’un de ces architectes grecques qui contribua à la construction des oeuvres impériales (Hérodote, III, 87-88) . Il s’attacha à réaliser le pont du Bosphore à la fin du VIe siècle. Au temple de Junon, il laissa pour héritage, outre une part de sa fortune, ces mots : « Mandroclès a consacré à Junon ce monument en reconnaissance de ce qu'il a réussi, au gré du roi Darius, à jeter un pont sur le Bosphore. Il s'est, par cette entreprise, couvert de gloire, et a rendu immortel le nom de Samos sa patrie ». Un patriotisme, sinon une fierté locale affichée clairement, qui ne contrevient nullement à la soumission de de Samos au Grand Roi. Il y a dans l’Empire un rayonnement culturel multiple. Il « n’y a donc aucune coloration anti-perse », pour reprendre les mots de Olivier Picard dans cette filiation avec sa terre affichée, et les « maitres de l’univers, les rois achéménides font venir de toutes les parties de l’Empire tous ceux dont les services pourraient être de quelque utilité ».

Cependant, cette question de l’Empire et de son impérialisme, légèrement détaillé dans les expéditions maritimes, supposent de décrire quelques notions pour comprendre son mécanisme et donc pas essence, sa potentielle menace.

« Tout empire périra » : un survie au prix de conquêtes ?

« La mer Caspienne est donc bornée à l'ouest par le Caucase, et à l'est par une plaine immense et à perte de vue. Les Massagètes, à qui Cyrus voulait faire la guerre, occupe la plus grande partie de cette plaine spacieuse. Plusieurs considérations importantes engageaient ce prince dans cette guerre, et l'y animaient. La première était sa naissance, qui lui paraissait avoir quelque chose de plus qu'humain ; la seconde, le bonheur qui l'avait toujours accompagné dans ses guerres. Toutes les nations, en effet, contre qui Cyrus tourna ses armes, furent subjuguées; aucune ne put l’éviter. »

Hérodote I, 204

Derrière l’analyse religieuse, décrite dans le chapitre ci-dessus : « Analyses grecques de l’Empire », dont le ressort dépasse la condition humaine, se trouve la préfiguration des caractéristiques, sinon des notions, qui font l’Empire, notamment la dynamique des conquêtes. En ce sens, les analyses religieuses des grecs préfigurent une analyse politique de l’Empire.

Analyse théorique et tragique du concept d’Empire autours de la vision de Jean-Baptiste Duroselle :

Qu’est-ce qu’un Empire ? Il nous faut décrire ces caractéristiques pour comprendre l’étendue de la menace potentielle achéménide qui pourrait se déployer sur le monde grec. Un ouvrage semble capital pour appréhender la notion d’Empire : Tout Empire périra. Une Vision théorique des relations internationales . Cependant, la notion d’Empire fait débat.  Il ne parait aberrant d’utiliser un ouvrage anachronique pour décrire une notion politique réelle qui traverse le temps. Moses Finley , et sa large définition de l’Empire, s’oppose à celle de Jean Tulard .

Le premier, dans une définition beaucoup trop large, selon moi, étend l’Empire à « exercice durable par un État d'une autorité, d'un pouvoir, ou d'un contrôle sur un ou plusieurs États, communautés ou peuples » . Derrière cette définition, toutes extensions géographiques de quelques entités que ce soient, qui voient intégrer dans sa structure politique les pratiques politique ancestrale se verraient taxer d’Empire. Il y aurait dans, à travers le processus mondial du regroupement (tribu, cité-état, nation) un processus impérial. Je pense que la notion fondamentale de l’Empire n’est pas là.

Le second circonscrit l’Empire à des points plus précis dont notamment : « une volonté expansionniste, une organisation centralisée, des peuples encadrés par une armature politique et fiscale commune, la croyance en une supériorité d'essence ainsi qu’un début et une fin clairement identifiés ». C’est là je pense la définition la plus juste car elle intègre un moteur, l’esprit de conquête, qui anime l’Empire, sinon le maintient en vie. Car par définition l’Empire ne vie que par ses conquête qui lui offre une certaine grandeur, sinon une puissance à laquelle les autres s’identifient ou s’oppose. Il se construit avec la notion de conflit et périra avec cette même notion.

L’Empire achéménide est plus que définit par cette réalité. Par ailleurs, le dernier point avancé par Jean Tulard, « un début et une fin clairement identifiés », illustre parfaitement la constitution géographique de l’Empire Achéménide. Les armes, sinon la conquête qui illustre sa grandeur, sont au service d’un moteur, sinon d’une âme, qui périra par le même procédé.

C’est en sens que Jean-Baptiste Duroselle lie la notion d’Empire à la notion tragique. Sans conquête l’Empire ne peut vivre et perdurer. Il a besoin de perceptives pour vivre. Celles-ci sont géographiques et leurs appétits n’ont pas de limites. L’Empire s’est forgé par les armes et il périra par les armes d’Alexandre le Grand. En ce sens « tout empire périra ». Par conséquent, on juge la vigueur, sinon la menace, d’un Empire au degré de ses conquêtes, et donc au consensus de son établissement géographique pour reprendre les termes de Jean-Baptiste Duroselle . La question du consensus, sinon du consentement, est fondamentale car elle nous permettra de comprendre l’origine du conflit inévitable avec le monde grecque.

La réalité historique : entre fragilités et conquêtes

« Le destin que les dieux ont de tout temps fait aux Perses leur impose de poursuivre les guerres où croulent les remparts, les mêlées où se vont heurtant les cavaliers, les renversements de cités »

Eschyle, Les Perses, v. 102-107

Le premier chapitre de l’Histoire de l’Empire Perse, intitulé « Les rassembleurs de terres : Cyrus le Grand et Cambyse (559-522) », nous apporte un éclairage quant à la constitution, essentiellement militaire, de l’Empire. La victoire des Perses sur les Mèdes (Hérodote, I, 129-130)  marque le début de la conquête géographique de l’Empire. Maitre d’Ecbatane, Cyrus « pouvait disposer de fonds inépuisables pour les campagnes à venir » souligne Pierre Briant . Cela est capital, car le charisme de l’Empereur ne fait pas tout. L’esprit de conquête est donc alimenté, sinon rendu possible, financièrement. La première conquête se fait par la loi du mariage : Cyrus épouse la fille d’Astyage, Amytis. Nous sommes loin de l’image chevaleresque du conquérant affiché par l’Empereur dans ses campagnes. Face aux ambitions de Crésus (Hérodote, I, 73) , Cyrus le Grand contre attaqua de manière victorieuse (circa. 547-546) tout en laissant à Crésus la possibilité d’exercer son pouvoir les mains liés (Diodore de Sicile, IX, 32.3). En refusant l’offre de Cyrus, Crésus donna raison à l’oracle, il détruisit son grand royaume (Hérodote, I, 53) . Cyrus triompha de son adversaire en plein hiver. La soumission de Millet et la chute de Sardes ont entrainés une réaction en chaine en Asie-Mineur, celle d’une proposition de soumission partielle au Grand Roi (Hérodote, I, 141) . Refusant, Cyrus décida de se lancer à leur conquête. Dès le printemps de l’année 546, Cyrus quitte l’Asie Mineur pour Babylone, Saces, Bactres et l’Egypte (Hérodote, I, 177-200)  alors qu’Harpage ravageait la Basse Asie. Cambyse continua les conquêtes impériales précédentes, avec notamment la campagne d’Egypte (525-522) comme le décrit Hérodote (III, 1-2) . Le bilan géographique est signifiant. A la mort de Cambyse, le champ des conquêtes militaires « s’étend de la Cyrénaïque à l’Hindu-Kuch, du Syr-Darya au golfe Persique ». Cette oeuvre politique, animé et sans cesse élargit par l’appareil militaire, se trouve politiquement unifié, notamment grâce à l’organisation de Darius. Par ailleurs, il est à souligner que cette nouvelle entité impériale s’est forgée une puissance navale. Elle en était dépourvue par le passé. En outre, cette menace vise directement la Grande Grèce, puisqu’elle est limitrophe. Par ailleurs, l’Empire, par ses nouvelles acquisitions, possède une force maritime inégalée, incarnée par la Phénicie et l’Egypte. Le bilan géopolitique est saisissant, et contraste donc avec celui du milieu du VIe siècle. L’Empire étend donc irrémédiablement ses frontières, rien ne semblent pouvoir y échapper (Polyen, VII, 11-12) .

Comme le souligne Olivier Picard, « la brutalité des conquêtes contraste avec la mansuétude et le libéralisme de leur domination » . Ce propos est souligné par Hérodote a de nombreuses reprises. Cyrus détruisit Babylone et ses moeurs (Hérodote, I, 178-200)  avec une grande violence. Les Xanthiens subirent également la violence de l’Empire (Hérodote, I, 176) . Cette conquête permanente, caractéristique de velléités impériales, traduit en réalité une très grande violence faites aux populations locales. Cependant, la guerre était sous l’antiquité un moyen d’arbitrer, sinon de changer, les situations politiques. Il serait donc anachronique, sinon inapproprié, de reprocher les moyens militaires, acceptés et utilisé par tous dans l’antiquité.

Quelle menace/conflit pour le monde antique ?

 Quelle forme de sociabilisation ?

  Une éventuelle sociabilisation conflictuelle :

« Quand les relations sont purement extérieures et n’interviennent donc pas pratiquement, c’est la forme latente du conflit qui remplit ce rôle : l’aversion, le sentiment d’être des étrangers et des ennemis l’un pour l’autre, qui à l’instant d’un contact proche, quelle qu’en soit la cause, pourrait se changer en haine positive et en combat. Sans cette aversion, la vie dans les grandes villes, qui met chacun de nous en contact avec d’innombrables autres individus, n’aurait aucune forme pensable »

Georg Simmel, Le conflit, Circé, 2015 p. 26

Quelle sociabilisation possible entre le monde grecque et Achéménide ? Comme nous l’avons vu l’Empire, sinon sa dynamique, entraine une menace réelle sur monde grecque. Certains grecs ont collaborés avec l’Empire, comme nous le verrons dans le chapitre ci-dessus : « Les perses : un élément politique d’appuie majeur pour la conquête et l’accession au pouvoir », pour tirer un avantage politique certain.

De manière positive, nous avons tendance à penser que seul les socialisations, de forme positive, font émerger une épanouissent ou une forme de d’édification.

Georg Simmel, et notamment Weber au Schmitt, s’oppose à cette « sociologie édifiante » . Ils considèrent que le conflit, sinon une forme de socialisation particulière, ne s’oppose à une forme particulière d’épanouissement. Si le conflit est d'abord le signe d'une opposition et d'une hostilité, il unit également et avant tout dans une même lutte et à propos d'un même litige les différents opposants. Il n'y a pas d'opposition sans adhésion, pas de dissensus sans consensus sur l'objet même du conflit.

Il s’agira donc de s’interroger sur cette menace et se conflit probant, sinon sur les conséquences de cette socialisation. Car en réalité, si le conflit à une force destructrice, il est également composé constructrice. En effet, le caractère d’hostilité ou de haine est un élément constitutif du groupe humain par rapport à quelque chose. En ce sens, comme Carl Schmitt l’expliquait, dans sa Théologie politique, un groupe, au même titre qu’un humain peut se construire grâce mais également contre quelque chose ou quelqu’un. Et donc, par conséquent, sa socialisation une entité quelconque, motivée par une hostile certaine, peut s’avérer féconde, sinon embryonnaire du fondement d’un groupe humain. Ce processus est millénaire comme nous avons pu le voire dans les sacrifices de bouc et leurs chants ayant pour vocation de lier sinon de souder les citoyens grâce à cette acte. Il s’agira donc de questionner les motivations, sinon les raisons de cette hostilité dans le chapitre intitulé : « Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées ».

Les bienfaits de la guerre, motivée par le conflit, sont expliqués par Georg Simmel  en ces termes : « le conflit ou la guerre d’une groupe peut l’amener à dépasser largement bien des divergences et des écarts individuels en son sein, mais d’autre part ses relations internes y gagnent souvent une clarté, une fermeté qu’il n’avait jamais connues. On observera cela particulièrement à propos de groupes assez petits qui ne sont pas encore l’objectivation d’un État moderne » . Ces organisations sont bien plus cohérentes, sinon forte, que celle de la paix.

Les perses : un élément politique d’appuie majeur pour la conquête et l’accession au pouvoir

« Les aristocrates qui gouvernent les cités ont donc été incapables, avant et même pendant l’invasion, de définir une politique cohérente de défense. Il faut y insister, la difficulté est d’ordre politique : l’impérialisme perse pose un problème jusqu’alors inconnu. L’enjeu n’est plus l’enjeu traditionnel de la supériorité sur ses voisins, et n’est même pas celui de la surie de la cité. (…) La menace de l’intégration à l’Empire, appuyée par des moyens gigantesque (…) bouleverse le jeu politique, introduisant une dimension nouvelle dont certains cherchent à s’accommoder ».

Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 110-111

Nous avons donc une socialisation particulière et multiforme devant l’Empire menaçant (Hérodote, VII, 8-9) . Dans un premier temps, par enjeu de realpolitik, certains aristocrates grecs vont chercher à s’accommoder de la puissance persanes, acceptant leur ingérence dans les affaires de la polis afin de retirer un bénéfice politique propre.

Par ailleurs, la situation politique semble comparable à celle de 1939-45. Certains politiciens grecs pensent que la Grèce est irrémédiablement promise à l’Empire. Dès lors, il faut anticiper, rebattre les cartes politiques, pour négocier l’avenir de demain. A l’image des choix de Pierre Laval, ces grecs pensent, avec beaucoup de fatalité, qu’il faut accepté la soumission sans conflit, en somme une « socialisation positive » pour reprendre les notions sociologiques détaillées ci-dessus dans le chapitre : « une éventuelle sociabilisation conflictuelle ». Il voit dans l’Empire, avec l’esprit défaitiste qui les anime, une solution de moindre mal pour « continuer à exister » (Hérodote VI, 99) . C’est ce que Olivier Picard décrit : « bien des aristocrates font du fait perse un élément majeur de leur stratégie pour la conquête du pouvoir » .

Cette nouvelle donne politique change radicalement la tournure des poleis en formation. Nous avions expliqué dans le chapitre consacré au « fonctionnement grec » que la préoccupation majeure de ces poleis résident dans leur géographique environnement proche. La vengeance de l’Empire Achéménide (Hérodote, VIII, 4)  modifie complément les relations extérieurs grecques, puisqu’il se trouve aux portes de la Grande Grèce.

Le premier exemple de cette ingérence persane dans les affaires des poleis est celui de Gillus (Hérodote, III, 138) . L’expédition de Démocèdes de Crotone, détaillé dans le chapitre intitulé : « Une réalité multi-confessionnelle : des échanges culturels permanents », s’est mal terminé lors du passage après avoir dépassé Tarente (Hérodote III, 137). Les perses furent réduit en esclavage, Gillus les ramena au Grand Roi pour les rendre libres. Pierre Briant souligne qu’il est difficile de savoir si ce fait est véridique : « il est difficile de faire la part de l’histoire et du conte dans le récit d’Hérodote. Dans la logique de sa démarche, l’affaire Démocèdes de Crotone revêtait une signification toute particulière : montrer que bien avant les guerres Médiques, l’Empire perse et le monde grec commençaient de se connaitre et que Darius nourri très tôt des projets de conquête dans cette direction » . Toutefois cette première partie de l’histoire n’est pas ce qui importe le plus. En revanche, la deuxième partie de l’histoire nous importe plus. Gillus demande au Grand Roi, en remerciement, de regagner sa polis, Tarente, et chasser ses adversaires politique du pouvoir. L’affaire échoue cependant mais montre déjà l’ingérence de l’Empire dans les affaires de la cité.

Le deuxième exemple, efficient a contrario du premier, est illustré par le cas Sylosôn (Hérodote, III, 39, 139-149) . Sylosôn fit appelle à Darius après que Polycrate, son frère, eut été mis à mort. Darius lui remit une flotte afin de combattre Oroitès et toucher son héritage, la tyrannie sur Samos, comme l’explique Oliver Picard. En ce sens, Sylosôn s’installe à Samos et l’Empire trouve une base insulaire stratégique contre la Grande Grèce.

Oliver Picard souligne, par ailleurs, que beaucoup de génoï, tels les Aleuades ou encore les Gongylos, se sont lâchement « disposés à se soumettre au Roi pour asseoir leur pouvoir sur leur cité » . Le terme de lâcheté est employé car beaucoup seront jugé pour médisme après les conflits. Cette scène est comparable à l’épuration de la fin de seconde guerre mondiale en France.

Par ailleurs, comme le souligne l’historien Olivier Picard, il est faux de vouloir interpréter politiquement, sinon de colorer, ces gestes médisants. Il ne faudrait pas voir des tyrans favorables au médisme face à des démocraties opposés à celui-ci. Hérodote (V, 73)   nous donne l’exemple Athéniens. Bien que démocratique, Athènes a tenté de négocier, sinon de conclure une alliance avec l’Empire. Les députés envoyés à Sardes pour accepter « la terre et l’eau » furent cependant jugés une fois revenu dans leur polis. Spartes, pourtant champion de la lutte contre l’Empire, vera deux membres de familles royales se rendre en Asie (Hérodote, VI, 67-70) .

Il y a donc un réflexe à éviter, comme lorsque l’on analyse la Collaboration, celui du manichéisme historique. L’histoire n’est pas binaire et laisse transparaitre bien plus de complexité qu’elle n’en parait. C’est donc à travers les valeurs qui ont fait ces poleis qu’il faut trouver des éléments de réponses quant au refus de médisme.

Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées

« Les aristocraties ont été élevées dans le respect d’un code moral rigoureux, qui place au premier rang des idéaux le défense de la cité contre toute agression et le maintien de son indépendance, qui considère le courage à la guerre comme la première vertu et qui accorde les plus grands honneurs au guerrier mort au combat tandis que le vaincu sort déshonorés ; elles ont été constamment entrainées au combat collectif de la phalange, elles sont habituées à supporter le choc de l’ennemi sans reculer ».

Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 111

« Tels sont les pays que je domine; par la volonté d’Ahura Mazda, ils sont de venu mes sujets ; ils m’apportent un tribut ; quoi que ce soit que je leur ordonne, de nuit et de jour ils le font »

inscription de Bisutum

Le premier élément de réponse à ce conflit inévitable, résultant de refus de médisme des grecs, est à chercher chez Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse . Comme nous l’avons déjà expliqué, et même si l’ouvrage porte sur un fait postérieur à la période étudiée, celui-ci traduit une réalité inscrite dans le temps long : le réalisme des relations internationales, sinon inter-étatique. Voilà ce que Thucydide (I, XXIII) écrit : « en fait, la cause la plus vraie est aussi la moins avouée : c’est à mon sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, les contraignant ainsi à la guerre ». Il s’agit évidement de la théorie de la puissance, en ce sens, « chaque État est une volonté de puissance » selon John Godonou-Dossou. Lorsque le consentement, sinon le consensus  autours d’une d’une puissance désignée, sinon d’une entité politique quelconque, est renversée alors nous assistons à une « transition de pouvoir », comme l’indique Mark Kauppi dans Roots of realism. Thucydide (V, LXXXIX) abonde dans ce sens, « il nous faut, de part et d'autre, ne pas sortir des limites des choses positives ; nous le savons et vous le savez aussi bien que nous, la justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d'autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les fables doivent leur céder ». Ici, dans le conflit qui préfigure le monde grec antique contre l’Empire, nulle n’est question de « justice » car les forces ne sont pas comparables, et a priori, il semble que la puissance de l’Empire ne laisse aucune chance aux cités grecques. Il va de soit que les comportements humains sont tributaires des types d’interactions, de leurs valeurs ainsi que de leurs représentations. On reconnait dans l’entité de grande puissante sa capacité à se défendre seule, là ou la moyenne puissance se retrouve sous la tutelle d’une plus grande. Les interactions entre moyenne et grande puissance ne sont pas les mêmes qu’entres grandes puissances. Les modalités d’interactions sont souvent en défaveur des petites puissances qui ne peuvent imposer par la légalité, sinon la négociation, leur vision sur la scène internationale. C’est pour cette raison, à savoir une « puissance insuffisante », que les grecs ne peuvent espérer que la guerre, et non des négociations avantageuses.

Le médisme, à savoir l’acceptation de la « terre et l’eau », leur permettrait d’exister les mains liés, et donc de rompre avec l’idéal qui les à vu naître. Il y a là quelque chose de symbolique : un déterminisme d’order social. Les mobilisations symboliques grecques, sinon les valeurs, liées à l’éducation du citoyen, agôgé ou éphèbie, représente un déterminisme dont il est difficile de s’affranchir.

Ce choix cornélien est expliqué par Raymond Aron . Cette « irrationalité » (le terme ne recouvre aucun jugement de valeurs, il est volontairement employer pour traduire un rapport perçu par un non initié), appuyée sinon renforcée par la paideia grecque , peut préférer l’indépendance, à savoir la révolte contre l’Empire menaçant, qui peut éventuellement mener à la mort, sinon la destruction. Cette « irrationalité » est préférée à la soumission qui les maintiendrait en vie tout en les privant de la liberté. Mourir comme un héros ou vivre tel un esclave : le choix semble pré-destiné à l’avance par l’univers de valeurs avec lequel les grecs ont grandit. Quel intérêt y aurait-il à exister les mains liés, à renier l’héritage qui a vu naître ces poleis ?

Dans cette analyse théorique des relations internationales, Thucydide est très important. Il distingue différents critères de puissance pour comprendre le déséquilibre du conflit entre grec et perse. La première différentiation porte sur la puissance terrestre et maritime, ainsi que son articulation. Selon Thucydide la mer est triomphante et ne peut être battue que par la mer. Ainsi, la victoire finale appartient au maître de la mer. Il y a quelque chose de capital, car si les grecs veulent répondre à la menace Achéménide, ils leur faut par nécessité une flotte. Enfin, Thucydide explique que les systèmes on tendances à s’équilibrer malgré que « le plus fort a toujours tendance à abuser de sa force » . C’est un point capital. Nous reviendrons sur ce point dans la troisième et dernière partie de ce mémoire intitulé : « vers un équilibre des puissances ».

En quelque sorte les grecs ne peuvent accepter le « bonheur pour l’homme »  que l’Empire achéménide revendique et impose. La tombe de Darius est sans équivoque et affiche sans complexe une inscription lourde de sens : « le grand dieu qui créa cette terre-ci, qui créa ce ciel là, qui créa l’homme, qui créa le bonheur pour l’homme, qui fit Darius … ». Ce bonheur passe donc par l’acceptation de la « terre et de l’eau » (Hérodote, VI, 48) .

Quelle symbolique réelle revet la « terre et l’eau » ? Louise-Marie Wéry  explique l’importance d’un tel ultimatum : « la terre et l'eau symbolisent les éléments vitaux d'un pays ». En ce sens, remettre les éléments vitaux de la terre au Grand Roi serait faire fi de toute la maturation politique qui a fait le Grèce. Cependant, Hérodote (VII, 132)  nous rapporte que certains peuples ont décidés d’accepter la soumission persane. Pour la plus part, les peuples se liguèrent contre le barbare (Hérodote, Idem) , à l’image de Spartes et d’Athènes (Hérodote, VII, 133) .  Cette revendication explicitée par Hérodote se pose bien sur la question de l’identité. Celle-ci est donc par conséquent appuyée par des valeurs. C’est en cela qu’Olivier Picard explique l’opposition des grecs à l’Empire, déterminée essentiellement par leurs valeurs.

Si les Grecs n’ont pas attaqué les premiers et ce en raison d’une faiblesse certaine face à la puissance de l’Empire, il nous faut néanmoins questionner, plus en détails, les raisons de leur opposition, sinon des valeurs qui ont préfigurés la puissance grecque. Car l’hoplite, sinon le citoyen soldat, en tant qu’il n’est pas un mercenaire contrairement à certaines troupes impériales, combat avant tout pour son bien propre et collectif, à savoir la polis. En ce sens, il est investit d’une mission, la survie de ce qui l’a vu naître. Il combat donc pour perdurer une partie de ce qu’il est. Il combat pour l’éleuthéria et l’autonomos. Ces valeurs animent la grandeur et la puissance grecque. L’idéal grec voudrait que le cosmos accueille les braves, là ou les traitres sont rejetés et méprisés. Toutes ces valeurs, en réalité, organisent un déterminisme social, et rand caduc les calculs politiques de certains aristocrates. Ils ont en quelque sorte les mains liés et ne peuvent faire autrement que de joindre la coalition contre l’Empire. Il en va de leur réputation. En quelque sorte les citoyens sont nés et déterminés pour la survie de leur polis, sinon déterminé par leur raison de vivre. Les hommes étant pétries par leur histoire, ils sont en quelque sorte « esclave » (sans connotation négative que ce soit) de cette « liberté ».

Cet imaginaire collectif qui détermine le monde grec s’enracine et se fabrique en opposition à certaines pratiques impériales : la proskynèse notamment, introduite au tout début du Ve siècle comme le souligne Plutarque, dans ses Vies Parallèles (Thémistocle XVII, 4-5) . Hérodote nous explique sa signification (VII, 136) . La proskynèse,  le chien qui se couche devant son maître littéralement, est une pratique abjecte car elle incite un mortel à s’incliner devant un autre mortel ; problème donc d’immanence dans un monde ou la transcendance règne. Il y a là certainement une démesure qui ne pourrait plaire aux Dieux. Un autre imaginaire est convoqué, on le retrouve chez Platon . Les perses ne savent pas nager et sont donc jugés idiots car s’ils maitrisent une force capitale, la puissance maritime, et le moindre accident pourrait leur couter la vie. Outre cela, les grecs combattent avec une lance, tenant tête à leur ennemi, là ou les perses combattent avec des arcs et des flèches. Un élément est symbolique : la distance. Celle-ci recouvre un défaut : la lâcheté, car tout combat chez les grecs suppose d’être frontal, sinon de faire. Les représentations du pouvoir, affichées sur les monnaies royales notamment , témoigne de cette pratique de combat. On y voit le Grand Roi Darius en archer. Signe d’absence, sinon de manque d’arrêté, qui est pourtant nuancé par Hérodote (I, 136), sans doute fasciné par l’Empire, qui met en avant la bravoure des soldats de l’Empire. Le Grand Roi est également la cible de moquerie car il ne combat pas, à l’image de Xerxès (Diodore de Sicile, XVI, 40, 4-5). La beauté orientale est également rayée par les grecs. Elle faisait en effet figure de féminité, à l’image des perles présentes sur la figure du Grand Roi. Strabon (XV, 3, 21)  et Hérodote (VII, 187)  nous décrivent cette beauté inégalée. De manière plus générale Pierre Briant  apporte une analyse générale très interessante à ce sujet. Il rapporte que cette vision que cette vision du luxe, symbole de lâcheté, est cependant contrecarré par certains, notamment Héraclide du Pont. Dans son ouvrage, intitulé Du plaisir, il écrit ce-ci : « Les tyrans et les rois, maîtres de toutes les bonnes choses de la vie et en ayant l'expérience, mettent les plaisirs à la première place, car le plaisir rend la nature humaine plus noble. En tout cas, toutes les personnes qui s'adonnent au plaisir et choisissent une vie de luxe sont nobles et généreux : ainsi les Perses et les Mèdes. Car, plus qu'aucun autre peuple dans le monde, ils s'adonnent au plaisir et au luxe, et tout en même temps pourtant ils sont les plus nobles et les plus braves des barbares. En fait jouir du plaisir et du luxe est la marque des hommes libres ; cela délie et élève l'esprit. Au contraire, vivre une vie de travail est la marque des esclaves et des hommes de basse naissance ». Pierre Briant souligne ainsi que « les contradictions rendent compte aussi de l'ambiguïté des sentiments que l'opinion publique grecque nourrissait vis à vis de l'Empire perse ».


Sommaire : Une réponse politique à la menace Achéménide ?

A. Les guerres médiques :
1. Descriptions historiques :
2. Phénomène politique et social : une guerre qui engage le corps civique …
3. La pensée téléologique d’Eschyle :

B. Evolutions des postures grecques :
1. Le principe d’unité :
a. Les nouveaux héros ou l’appropriation de l’histoire par la généalogie :
2. L’opposition : les Grecs contre le Barbares ?
a. La politique Athénienne : à la conquête de l’hégémon
3. Les lieux de mémoires et leurs récits : culture et assise d’une nouvelle posture
a. Principes théoriques à l’aune de la pensée de Pierre Nora
b. Idéologie de la terre
c. Conflits politiques grecs internes

C. Évolution et situation impériale :
a. Vers un équilibre : l’émergence de la diplomatie
b. Une politique des conquêtes modifiée ?
c. L’Empire : une terre d’asile pour les grecs déchus


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Une réponse politique à la menace Achéménide : les conditions de son déploiement

 Les guerres médiques :

  Description historique des guerres

L’ouvrage de Peter Green  et de Francois Lefèvre  sont très important pour comprendre les Guerres Médiques. Elles représentent l’aboutissement de l’explication théorique du chapitre intitulé : « Une sociabilisation conflictuelle à l’aune du Conflit de Georges Simmel ». En ce sens qu’elle porte en son sein, à travers une socialisation conflictuelle, un élément positif et constitutif de nouveauté dans le monde grec : l’unité ainsi que sa politisation. C’est le conflit qui forge, sinon polarise, la notion d’unité. Reste que sans celui-ci, à savoir l’éventuelle fin d’un conflit alimenté par la menace de l’Empire, il nous faudra interroger la pérennité de cette unité, chose que nous ferons dans le chapitre suivant intitulé : « évolutions des postures grecques ».

L’histoire des Guerres Médiques débute avec l’annonce et la réquisition faite par Philippides (Hérodote, VI, 105-106)  aux cités de Sparte et d’Athènes quant à la possible mise en « esclavage par les barbares » de certaines poleis. Cette réquisition va déboucher sur la bataille de Marathon (circa 490). Celle-ci va parachever l’étonnant destin athénien et bouleverser sa politique. Sous le commandement de Datis, l’armée ne compte pas moins de 20 000 à 30 000 hommes face aux 9 000 hoplites de Miltiade (Hérodote, VI, 100-120). Cette célèbre victoire athénienne (Hérodote, VI, 120)  intronisa un culte, celui des marathonomaques. La terre, sinon les lieux de batailles, commence petit à petit à recouvrir une dimension politique majeure. Des évolutions politiques majeures suivent cette victoire de Marathon, à commencer par la crise dynastique de Sparte ou encore les réformes maritimes entamées par Thémistocle qui permettent à Athènes d’équilibrer son rapport de force face à l’Empire.

Le second épisode des Guerres Médiques est fascinant par l’ampleur des forces en présence. L’historiographie se bataille quant à la réalité des descriptions avancées. A raison, sans doute, car l’amplification des forces Perses résulte d’une orchestration politique ainsi que d’une mise en valeurs comme nous le verrons dans le chapitre intitulé : « Conflits politiques internes : à la conquête de l’hégémon ». L'Asie se serait-elle vidée de tous ses mâles pour reprendre la formule d’Eschyle ?

Pour Ctésias  il s’agirait de 800 000 hommes accompagnés de 1 000 trières. Pour Hérodote  il ne s’agirait pas mois de 1 700 000 fantassins, de 80 000 cavaliers et de 1 200 trières. Pour Pierre Briant ces estimations « manque de vraisemblance »  même si la revanche de Xerxès se voulait sanglante et terrifiante. Sa présence lors du second conflit atteste de l’importance qu’il lui portait. Conflit qui visait à répondre aux humiliations subies par l’Empire. Les historiens estiment entre 75 000 hommes et 500 000 les forces en présence perse . Plus que les chiffres, ce qui importe pour les contemporains de l'évènement est l'impression d'une levée en masse gigantesque. Sinon la conscience d’avoir réalisé quelque chose de grand. Les deux grandes batailles qui font rage sont celles de Salamine et de Platées. A Salamine le bilan est saisissant :

« De la bande, il n'est plus possible de voir la surface de la mer Couverte qu'elle est de débris, et de cadavres, Les rivages et les écueils étaient remplis de morts, Ils se débandent à toutes rames, les navires Encore intacts de la flotte des Barbares ; Comme s'il s'agissait de thons, de poissons pris au filet, Avec des débris de rames, des restes d'épaves, Les Grecs frappent, assomment les survivants ; des plaintes, Mêlées de gémissements s'élèvent au large, Jusqu'à ce qu'à la vue des ténèbres de la nuit, tout s'efface. Le compte de nos pertes, prendrais-je dix jours À le faire, je n'arriverais pas au bout ; Jamais, sois-en sûre, en un seul jour, N'a péri un tel nombre d’hommes. »

Eschyle, Les Perses, v. 418-430


La bataille de Platées débute après d’inlassable problèmes protocolaires, et se termine le 13eme jour avec une large victoire victoire grecque. Si Mardonios est tué, Léonidas semble vengé : les grecs ont triomphé de leur ennemi héréditaire.

Phénomène politique et social : une guerre qui engage le corps civique et ses conséquences

Quelle fut l’incidence de la menace perse dans les affaires de la polis ? Les Guerres Médiques, n’étant que l’émanation de cette menace, semble opérer un changement majeur dans les poleis grecques. Il nous faut donc nous interroger sur la nature de ce changement que l’on pourrait surnommer l’appropriation du politique, sinon le fait qu’il soit devenu l’affaire de tous.

Pour commencer il nous faut étudier les conséquences des lois navales de Thémistocle. Plutarque  est une source importante pour étudier l’oeuvre de Thucydide. Il fut archonte à Athènes en 483 , et non vraisemblablement en 493. Il eut un rôle politique clef dans la période de l’entre deux guerres (Plutarque, Vie de Thémistocle, v 11) . Il plongea Athènes dans une campagne maritime (Plutarque, Vie de Thémistocle, v 12-13)  grâce au mine de plomb argentifère :

« Sur terre, disait-il, nous ne sommes pas en état de résister même à nos voisins ; au lieu qu’avec des forces maritimes, nous pourrions et repousser les barbares, et commander à la Grèce. »

Plutarque note une chose très interessante, politiquement parlant, à savoir (Plutarque, Vie de Thémistocle, v 14)  : « l’émergence politique des rameurs ». Peter Green souligne dans son ouvrage, Les guerres médiques, qu’il y avait à Athènes un conflit politique liés aux génos, l’aristocratie était baignée par l’idéal du combat terrestre là ou les citoyens des classes inférieurs pouvait trouver dans les réformes de Thémistocle un moyen politique d’émerger. Thémistocle se lança donc dans une politique de construction de planche de bois nommée trières, réalisant ainsi les voeux de l’oracle. La Pythie n’avait-elle pas dit : « les Athéniens se sauveront grâce aux remparts de bois ». Là ou les aristocrates voyaient le bois comme une enceinte figée, Thémistocle l’a voyait comme une arme de défense et d’attaque mobile. Il avait compris bien avant tout le monde ce que la trière était en mesure de faire sur la scène internationale, à savoir l’un des critères de puissances les plus élaborés (Plutarque, Vie de Thémistocle, v 53) :

« J’ai toujours recherché la domination, écrivait-il à ses concitoyens ; car je n’étais pas né pour être esclave, et je n’avais pas la volonté de le devenir. Comment donc supposer que j’aie entrepris de me livrer, moi et toute la Grèce, à des ennemis et à des barbares ? ».

Ces morceaux de bois préfigurent, en réalité, la capacité d’intervenir partout et rapidement, contrairement à la mobilité restreinte des forces terrestres. En ce sens, elle préfigure ce que Thucydide appelle la thalassocratie. Le terme n’apparait que chez Strabon (I, 3, 2). On trouve des mots dérivés, tels que celui qui domine la mer, chez Hérodote (V, 38), Thucydide (VIII, 63), Xénophon (Helléniques, I, 6, 2), Démosthène (Sur les forfaitures de l'ambassade, 123) et Polybe (I, 7) . La notion de domination est donc réelle à l’époque des faits. Outre l’importance que revêt le développement de la puissance athénienne, il faut cibler nos interrogations sur les conséquences de cette puissance nouvelle. Car comme toute puissance, elle possède un prix : le recul des aristocrates et de la force terrienne dans la politique athénienne.

Le première chose la plus importante est que la guerre mobilise les hommes, beaucoup d’hommes, et en particulier pour les trières. Un calcul assez simple nous ramène à 200 hommes par trière soit 170 rameurs et 30 hommes d’équipage. Un calcul plus élaboré nous ramène à 40 000 hommes pour 200 trières . Il faut donc par urgence déployer et solliciter des hommes nouveaux, sinon des hommes qui participeront au rayonnement futur, mais incertain, d’Athènes. Le Politique ne faisant qu’un, il apparait logique que le milliaire y soit imbriquer. Il a donc fallut solliciter les Thètes qui vont devenir petit à petit le nouveau pivot de la défense nationale. Ils deviennent en quelque sorte pleinement citoyen, car participant activement à la défense de la polis. En quelque sorte, la menace et le conflit, dont les Perses sont à l’origine, ont été fécond aussi bien dans la maturation politique athénienne (à savoir l’ultra-démocratie) et son radicalisme, dont les ostracismes fréquents illustrent parfaitement cette tyrannie du peuple. Sans doute faut-il voire dans le génie athénien un équilibre entre ces deux horizons, équilibre maintes fois recherchés et idéalisé à mesure des différentes édifications politiques. Ces ostracismes à répétitions, à l’endroit de d’Aristide, de Thémistocle ou encore d’Alcibiade illustrent également la fragilité de cette maturation politique.

Il faut également porter nos interrogations sur Spartes et la nature de son déploiement militaire. Il semble en effet très important pour comprendre la nature du politique à Spartes et les conséquences éventuelles de la guerre sur les semblables garant de la polis et de ses lois. Il semble que les spartiates aient employés 10 000 lacédémoniens lors de la seconde phase des Guerres Médiques. La nature des 10 000 hommes employés au combat annonce une triste réalité pour la région de lacédémone : les problèmes oliganthropiques qui vont ronger la stabilité spartiates. En effet, la présence de 50% de périèques lors du déploiement des forces militaires indique que les homoioi ne sont en nombres suffisant pour garantir la sécurité de la polis et l’expansion sur la scène internationale. Le menace perse et le conflit des Guerres Médiques favorisent peu à peu l’oliganthropie à Spartes et ces conséquences sont très limitante pour elle dans sa projection politique extérieures.

La pensée téléologique d’Eschyle :

« Irrésistible est l’armée de la Perse et son peuple au coeur vaillant »

Eschyle, Les Perses, v. 92

« Allez, fils de la Grèce, Libérez votre patrie, libérez Vos enfants, vos femmes, les temples des dieux de vos pères, Les tombes de vos ancêtres ; c'est le moment où jamais ! »

Eschyle, Les Perses, v. 402-406

Il faut d’abord nous intéresser aux conditions de production de la pièce Les Perses d’Eschyle. En effet, la production théâtrale athénienne fonctionna jusqu’à la fin du IV siècle par un système de chorégie – soit un entretient financier très lourd versé au dramaturge par un chorège. Fait intéressant, le chorège de la pièce d’Eschyle, en 472 avant notre ère, fut le stratège Périclès. Ce fut par ce moyen que Périclès entama son entrée en politique. Eschyle contribua fortement à l’édification d’un mythe athénien, puisque la pièce fut d’une part jouée à Athènes et d’autre part exploitée afin de l’ancrer à polis. Il fallut donc par le théâtre, instrument intellectuel de la polis, doter, en quelque sorte, une psyché (âme ou énergie) aux éléments constitutifs de la polis.

L’Empire perse fut tout d’abord représenté, de façon oxymorique, par Eschyle comme de « triomphants archers » (vers 26), marquant tacitement le refus des perses pour le corps à corps et soulignant ainsi la lâcheté, sinon le manque d’arrêté. Cette critique fut marquée tout au long de la pièce par l’opposition entre la lance grecque – renvoyant ainsi à l’arétè hoplitique – et l’arc perse. En outre, Eschyle représente le peuple perse comme victime d’un châtiment divin. En effet, suite à une nuit animée par de terribles songes, la reine révèle qu’à son réveil, lors du sacrifice de la galette (libation), elle vit le combat terrible d’un aigle, emblème des rois perse, et d’un épervier, oiseau d’Apollon (vers 205-211). Il s’agit là d’une allégorie, prophétique, montrant la déroute de l’Empire perse face au modeste grec. En outre l’Empire perse par l’intermédiaire de sa divinité, Ahura-mazda, fut mis à mal par les divinités grecque, mais plus spécialement athéniennes, en ces termes : « ou dit-on qu’est Athènes [...] ? Au loin, vers le couchant ou décline le Soleil, notre maitre » (vers 232).

Au cœur de la tragédie, la dimension religieuse laisse transparaitre une supériorité athénienne ainsi qu’une infériorité persique. Enfin le roi Xerxès est représenté avec une robe, faisant ressortir ainsi la féminité prêtée aux orientaux. Globalement l’Empire perse fut représenté par l’hubris, élément à cause duquel l’Empire courut à sa perte selon Eschyle. Darius en témoigna en ces termes : « il [Xerxès] l’a [Hellespont] dénaturée » (vers 747).

Le combat naval de Salamine fut décrit par Eschyle avec exactitude, concernant les effectifs perses (vers 341-342), et approximation, concernant les effectifs grecs (vers 339). Le messager souligna l’importance du rapport des forces – trois cents vaisseaux grecs pour mille vaisseaux perses – et conclu qu’une telle défaite ne pouvait qu’être l’œuvre d’un daïmon favorable à la cité de Pallas (vers 347). Les vaisseaux grecs furent les premiers à attaquer (vers 410), déclenchant ainsi un chocs des bateaux perses entre eux (vers 415- 416). En outre le messager rapporta que si Athènes fut solide cela fut par ses remparts humains (vers 349) – nous renvoyant ainsi à la définition que fit le coryphée des Athéniens : « Ils ne peuvent être dits esclaves, ni sujets, de personne » et de ce pourquoi ils combattent, à savoir l’éleuthéria (vers 242). Le combat naval décrit par Eschyle imbriqua donc d’une part le fait militaire et d’autre part le fait politique clivé entre deux mondes (barabaros et éleuthéria). Le rapport du messager s’attacha à déceler tout fait susceptible d’alimenter le postulat d’un daïmon vengeur (vers 354-355). De plus la formulation : « jalousie des dieux » (vers 362) révèle l’une des composantes, à savoir la transcendance, du tragique grec. Déterminé par l’hubris, la vengeance divine tire son sens dans une volonté équilibrée, montrant ainsi à son rival mortel, touché par la démesure, qu’un fatum particulier lui causera la mort.

Malgré toute cette description poétique, qui pourrait nous aisément penser qu’Eschyle y tirerait sa gloire première, André Wartelle  rapporte que « Eschyle se sent et se définit comme l'homme des guerres médiques. Il n'appartient pas à une société anémiée, trop faible et trop lasse pour assurer par le combat la sauvegarde de ses valeurs et de ses institutions ». C’est là le sens de l’oeuvre première d’Eschyle, sinon sa téléologie, à savoir son but final. André Wartelle continue dans ce sens, à travers ce qu’il appelle la théologie d’Eschyle, « cette tendance est déjà visible clans les Perses, dont la grande simplicité de structure fait d'autant mieux apparaître l'intention profonde du poète : les deux puissances antagonistes ne sont pas tant les Grecs et les Perses que les Perses et les dieux ». C’est là point majeur à dépasser. Car si Eschyle revendique la victoire du fait des Dieux, il revendique aussi une nouvelle posture, sinon une destinée particulière. Celle-ci se trouve définit par l’appartenance première d’Eschyle, comme homme de guerre et non comme homme de lettre. Il est conscient d’appartenir à un changement, certes appuyé par les Dieux et donc en ce sens théologique, dont la finalité dépasse beaucoup l’ancienne situation athénienne. Et c’est bien cette destinée qu’il nous faut questionner, car elle est la finalité de l’oeuvre d’Eschyle.

Evolutions des postures grecques :

Nous avons vu que la guerre menée face à la menace Perse a eut pour conséquence d’unir les grec militairement. Par ailleurs cela a également unit le corps civique, notamment le corps athénien, dans ce conflit. Nous avions analysé la pensée de Gerog Simmel, grâce notamment à son ouvrage Le Conflit, et nous avions mesurer toutes les possibilités positives que représentaient le confit.

Il nous faut néanmoins nous interroger sur une éventuelle polarisation de cette unité nouvelle avec la notion de conflit, sinon de la menace Perse. Avant cela, cependant, il nous faut questionner les modalités de cette unité, à savoir notamment comment sa construction s’opère. Quelles formes cette unité nouvelle prend t-elle ? Comment se traduit-elle au regard de l’histoire ? Va t-elle perdurer ?

Le principe d’unité :

« dix ans après, les Barbares qui voulaient asservir la Grèce lancèrent contre elle une grande expédition ; devant l'imminence et l'importance du danger les Lacédémoniens, dont la puissance était grande, furent mis à la tête des Grecs coalisés. Les Athéniens, devant l'invasion des Mèdes, décidèrent d'abandonner leur ville et prenant ce qu'ils pouvaient emporter s'embarquèrent et devinrent ainsi gens de mer. Peu après avoir repoussé ensemble le Barbare, ils prirent le parti, les uns des Athéniens, les autres celui des Lacédémoniens, aussi bien ceux qui s'étaient révoltés contre le Grand Roi que ceux qui avaient combattu avec lui ; car Athènes et Lacédémone étaient les plus grandes puissances, l'une sur terre, l'autre sur mer. »

Thucydide, La guerre du Péloponnèse, I, 18

« il y a le monde grec, uni par la langue et par le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs, nos mœurs qui sont les mêmes, et cela, des Athéniens ne sauraient le trahir. Sachez donc, si par hasard vous ne le saviez pas encore, qu’aussi longtemps qu’il y aura sur terre un Athénien, nous ne pactiserons pas avec Xerxès. »

Hérodote, L’Enquête, VIII, 143-144

La victoire des guerres médiques est définitivement, au regard de l’histoire, la victoire du monde grec, et ce malgré les actes médisants de certaines poleis. Cette victoire bouleverse le monde et ses mentalités. Elle change la propre vision grecque du monde en « détruisant le mythe du conquérant invincible » . Cette victoire change la propre perception des grecs vis à vis de la menace achéménide qui planait sur les poleis depuis plus de 100 ans. Par cette victoire les grecs se sentent investi d’une mission, sinon un destin commun. Cette victoire change leur positionnement dans le monde méditerranéen. Cela modifie considérablement le rapport traditionnel des poleis à leur l’environnement proche, comme nous l’avons montré dans le chapitre intitulé : « Le fonctionnement du monde grec : un espace politique éparse ». En d’autres mots, cette nouvelle unité construite, à la suite des Guerres Médiques, traduit une nouvelle posture.

Les nouveaux héros ou l’appropriation de l’histoire par la généalogie :

Le monde grec fut bercé et pétrit par les nombreuses références homériques. Ces références étaient constitutives d’une identité, sinon d’un patrimoine commun. C’était en quelque sorte une généalogie que les grecs partageaient en commun. Il s’agissait d’un tronc commun qui définissait le cadre des valeurs de la polis. Retransmit de manière orale, ces références étaient le lien qui unissait le présent avec les anciens. Jacqueline de Romilly, dans son ouvrage biographique d’Alcibiade, rapporte que celui-ci avait giflé son enseignant car il ne possédait pas l’Iliade et l’Odyssée. Cette possession physique, et non plus orale, remonte a Pisistrate qui inaugura la première bibliothèque publique comme l’explique Cicéron (De l'orateur, III, 40). Hipparque, ordonne que le manuscrit soit récité tous les ans à l'occasion de la fête des Panathénées (Platon, Hipparque, 228b) .  Le passé est donc perçu comme un cap à perdurer et à préserver, comme nous l’avions montrer dans le chapitre intitulé : « Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées ».

Dans la reconstitution de la victoire, avec de nombreuses exagérations, Hérodote célèbre les générations présentes. Cela est une nouveauté très importante car il ne se réfère pas uniquement aux générations du passé. Il insère dans son récit une vision actuelle qui a pour but d’édifier les siècles suivants. Si le passé et les valeurs qui y appartiennent ont poussé les grecs à combattre l’Empire en écrasant la possibilité d’un médisme généralisé, ils ont créés, par là même, une référence en terme historique. C’est bien la conduite des hommes pendant les guerres médiques qui a servit à construire une référence actuelle, sinon une référence vécue.

Hérodote, nous l’avons dit, malgré ses approximations maladroites ou exagérations volontaires, est un témoin à privilégier pour étudier l’état d’esprit antique, sinon les thèmes politiques de l’époque : patriotisme (à savoir la terre de ses pères au sens général) et panhellénisme. C’est donc chez Hérodote, notamment dans les récits d’offrandes faites aux dieux, qu’il faut aller chercher cette nouvelle référence, sinon cette appropriation de l’histoire par les grecs ; cette nouvelle généalogie qui s’additionne à celle des anciens.

Tout d’abord il semble interessant de mettre en avant les acteurs, décrits par Hérodote, de la victoire. Hérodote (VIII, 121-122) fait états des grecs et non des cités victorieuses, malgré le nombre important de cités médisantes. Il apparait donc un sentiment de panhellénisme évident. Hérodote insiste en effet sur l’aspect commun de cette victoire :

« Les Grecs, ne pouvant prendre Andros, tournèrent leurs armes contre Caryste, et, après avoir ravagé son territoire, ils revinrent à Salamine. On commença par mettre de côté les prémices du butin pour les dieux, et entre autres trois vaisseaux phéniciens. Ils en envoyèrent un à l'isthme pour y être consacré aux dieux, on l'y voyait encore de mon temps; un autre à Sunium, et le troisième fut dédié à Ajax dans l'île de Salamine. On partagea ensuite te butin, et l'on en envoya les prémices à Delphes. On en fit une statue de douze coudées de haut, tenant à la main un éperon de vaisseau. On la plaça au même endroit où est la statue d'or d'Alexandre, roi de Macédoine. »

« Ces prémices envoyées à Delphes, les Grecs demandèrent au dieu, au nom de tous les confédérés, s'il avait reçu des prémices complètes et qui lui fussent agréables. Le dieu répondit qu'il en avait reçu de tous les Grecs, excepté des Éginètes, dont il exigeait un présent, parce qu'ils s'étaient plus distingués que les autres au combat naval de Salamine. Sur cette réponse, les Éginètes lui consacrèrent trois étoiles d'or, qui sont sur un mât d'airain à l'angle, fort près du cratère de Crésus. »

C’est bien ici la notion collective qui importe, le monde grec ne relève plus uniquement, comme ce fut le cas, d’une entité purement géographique mais d’une entité commune soudée autours d’une histoire vécue dont les héros ne vont pas tarder s’illustrer dans le construction généalogie de demain.

Cette victoire commune modifie avant tout la position des grecs dans le monde, sinon sur la scène internationale. L’issue de la conquête d’Eion (Thucydide, I, 98, 1)  en 475 , voit la construction de trois hermès sur l’Agora (Plutarque, Cimon, 7)  :


« Eux aussi ils étaient braves, ceux qui jadis Dans Ëione, sur les rives du Strymon, ont fait sentir aux enfants des Mèdes Et la brûlante famine, et les fureurs de Mars ; Ceux qui les premiers ont réduit les ennemis au désespoir. »

« Voilà la récompense que les généraux ont reçue des Athéniens, Pour prix de leurs exploits et de leurs nobles services. Tous, à ce spectacle, jusque dans la postérité, se sentiront un plus vif désir  De combattre pour le salut de la patrie. »

C’est de cette ville que jadis Ménesthée, compagnon des Atrides, Emmena son armée vers les champs sacrés de Troie. Homère a dit de lui qu’entre tous les Grecs couverts de la cuirasse Il excellait à ranger ses soldats en bataille. Comme lui les Athéniens ont mérité le renom  D’habiles dans l’art militaire et de braves dans l’action. »

Voilà ce que Plutarque indique quant à ces inscriptions : « ces inscriptions, bien que le nom de Cimon n’y paraisse nulle part, étaient, aux yeux des hommes de ce temps, le comble de l’honneur : ni Thémistocle ni Miltiade n’avaient jamais rien obtenu de semblable ». Ces inscriptions soulignent l’exemplarité de l’exploit pour les générations à venir. Il s’inscrit donc un témoin pour le futur à préserver et à léguer. Il est premier dans le genre, car ni Thémistocle ni Miltiade « n’avaient jamais rien obtenu de semblable » comme le souligne Plutarque. Ces inscriptions, vantant les mérites de Cimon, sont également significatives car elles sont mises en parallèle avec l’élégie de l’époque homérique. En quelques sortes, les héros actuels ont égalés la généalogie du passé, c’est en cela qu’il s’agit d’une appropriation de l’histoire. Jusqu’alors les récits homériques constituaient le mode de référence et l’affirmation des grecs. Il y a là un bouleversement du moi grec qui devient un élément constitutif du présent pour le futur. Ainsi la génération 490-480 devient l’égale des héros homériques.

Les Guerres Médiques deviennent une thème de grande littérature, comme en témoigne l’oeuvre de Phrynichos le Tragique et plus particulièrement Les Milésiennes . Condamné à payer une amende de 1 000 drachmes pour avoir appelé au malheurs du peuple, Phrynichos dessine le drame de destinée humaine. Peu a peu ce thème prend de l’ampleur, sous la chorégie de Thémistocle notamment ou encore avec la commande de Périclès des Perses. La littérature devient l’affirmation du moi grec, de son univers et de ses héros. Elle symbolise le début de l’histoire, avec une certaine curiosité scientifique et un genre littéraire très répandu. L’écriture, par sa transmission figée, contrairement à la tradition orale, donne du sens à cette affirmation du moi. On peut à juste titre considérer qu’il n’y a pas eut de réelle histoire avant 480 mais au mieux des généalogies appartenant à grands génos. La mémoire historique des grecs reposait donc sur des récits historiques avec une base traditionnelle certaine.

480 inverse définitivement ce rapport pour faire émerger le sentiment hellénique qui devient la référence vécue et durable. Elle s’inscrit comme un élément de continuité. L’Enquête d’Hérodote fut rédigé dans cette optique : « empêcher que de grands et merveilleuses exploits accomplis tant par les Barbares que par les Grecs ne cessent d’être renommés ». L’écriture n’est pas le seul moyen pour illustrer cette appropriation de l’histoire. Dès la première moitié du Ve siècle de nombreuses poteries attiques montrent des oppositions entre guerriers grecs et perses, et le relief côté sud du temple d'Athéna Niké de l'Acropole figure un combat entre Grecs et Perses.

L’opposition : les Grecs contre le Barbares ?

« Il m'a semblé voir deux femmes apparaître devant moi, magnifiquement vêtues : l'une était parée de l'habit des Perses, l'autre du costume dorien; leur taille avait plus de majesté que celle des femmes d'aujourd'hui; leur beauté était sans tache ; c'étaient deux filles de la même race, c'étaient deux sœurs. A chacune d'elles le sort avait fixé sa patrie : l'une habitait la terre de Grèce, l'autre la terre des Barbares. »

Eschyle, Les Perses, vers 181-2

La thématique de l’opposition est très féconde chez Eschyle, en témoigne de nombreux exemples et notamment celui-ci « depuis que la mer a séparé l’Europe de l’Asie ». Si thème de l’opposition est si fécond chez les auteurs du Ve siècle, c’est qu’en réalité, comme nous l’avions expliqué de manière théorique avec la pensée de Georg Simmel, l’opposition, sinon le conflit est à l’origine de la construction du sentiment identitaire commun au monde grec. Bien évidement les grecs n’ont pas attendu les Perses pour développer un certain génie politique, sinon un esprit pionnier. Par conséquent, on assiste à une description bipolaire du monde, ente l’Europe et l’Asie. Cette bipolarisation est également présente chez Hérodote.

Cette bipolarisation, sinon cette dualité, d’Hérodote est critiqué par Plutarque dans son ouvrage intitulé De la Malignité d’Hérodote. En bon moraliste Plutarque (870b) explique son propos : « mais je ne prétends pas relever tous les mensonges d'Hérodote ;  je ne m'arrête qu'à ceux qui portent un caractère d'envie et de méchanceté ». En ce sens, Plutarque souligne l’importance de la vérité (863b) , dont Hérodote se revendiquait pour tendre à une réalité scientifique. Reste cependant que cette bipolarisation, présente dans les schéma mentaux de tous, favorisent les constructions historiques et politiques. Par conséquent, même faussée ou encore inexacte, elle produit un système politique unitaire et partagé par tous, n’en déplaise à Plutarque.

Il s’agit de questionner cette polarisation de la construction du sentiment identitaire commun. Car de manière logique, lorsqu’une entité se construit face à quelque chose, il apparait évident que sa survie dépend de la menace qui la vu naitre. Il y a là quelque chose de fondamentale. La raison du sentiment commun et partagé trouve du sens, lorsque la raison de cette création, à savoir le conflit ou la menace, est toujours vigoureuse. A mesure que la menace s’estompe, le sentiment de destinée commune cède sa place au caractère individuel. Il s’agira donc de s’interroger sur les suites de la politique résultant de la scène internationale entre l’Europe et l’Asie.

Quant sera t-il donc de ce sentiment commun, sinon de ce destin propre au monde grec ? Car les grecs doivent en répondre devant la Grèce toute entière. Que deviendra cet hellénisme, entendu comme un destin historique commun ?

La politique Athénienne : à la conquête de l’hégémon

« Pendant quelque temps, leur alliance subsista. Puis Lacédémoniens et Athéniens se brouillèrent et, aidés de leurs alliés, se firent la guerre. Survenait-il une brouille chez les autres Grecs, ils passaient dans un camp ou dans l'autre. Ainsi, depuis les guerres médiques, sans interruption jusqu'à la guerre du Péloponnèse, tantôt en paix, tantôt en guerre entre eux ou avec leurs alliés révoltés, ils acquirent la pratique de la guerre et firent leur apprentissage au milieu des dangers. »

Thucydide, La guerre du Péloponnèse, I, 18

De 478 à 413, Athènes se lance à la tête d’une grande symmachia, à savoir la Ligue de Délos. Elle se veut être un rempart mobile contre l’Empire et sa menace potentielle. Elle est donc un acteur à privilégier dans l’analyse des rapports post Guerres Médiques. Sa constitution n’est pas abordé par Hérodote, cependant Thucydide (I, 96) nous apporte quelques éclairages : « c'est ainsi que les Athéniens obtinrent l'hégémonie du consentement des alliés et grâce à l'hostilité que ceux-ci nourrissaient contre Pausanias. Ils fixèrent les villes qui devaient fournir des contributions contre le Barbare et celles qui devaient fournir des vaisseaux. Le prétexte était de se venger, en ravageant les terres du Roi, des maux subis. C'est alors que pour la première fois on institua chez les Athéniens la magistrature des Hellénotames, chargés de percevoir le tribut. C'est de ce nom (phoros) qu'on appela la contribution en argent. Le premier tribut fut fixé à quatre cent soixante talents. Le trésor se trouvait à Délos et les assemblées se tenaient dans le temple. »

Il est interessant de noter que cette ligue se construit certes dans le but de se venger des Perses mais également en opposition avec le sentiment pan-hellénique créé à la suite des Guerres Médiques, qui voyait toute la Grèce se rassembler autours d’un destin commun. En effet, la naissance de l’alliance s’inscrit dans un contexte de rivalités entre Spartes et Athènes. Cette rivalité, s’inscrit selon Thucydide (I, 128) , dans la lutte opposé de deux hégémon, Athènes reproche à Pausanias de rechercher « la domination sur les Grecs » et tente d’établir exactement le même objectif, à travers un but inverser. Pausanias est donc accusé de médisme par les Athéniens. Par ailleurs, les Spartiates ne tardèrent pas à se venger en accusant Thémistocle de trahison. Toutes discussions avec l’Empire est jugée médisante, il y a travers l’idéologie politique du temps une véritable volonté de rupture diplomatique. Ainsi, Athènes s’affirme comme leader de la Grèce (Constitution des Athéniens, 24) , en écartant Spartes pourtant sollicitée pendant lors des Guerres Médiques.

Thucydide souligne, d’après Olivier Picard , que le réel problème de cette ligue provient du fait qu’il n’y avait nulle part de stratégie clairement affichée, ni de véritable ambition si ce n’est de mener la Grèce. Certains thèmes, pour faire vivre la ligue sans doute, sont mis en avant, tels que la libération des cités d’Asie occupée qui subissent le joug de l’Empire. Le thème apparait une fois dans l’oeuvre de Thucydide (III, 10) . Cependant, il parait évident que dans un tel contexte, cette ligue soit tournée vers la défense des cités grecques contre l’Empire, il en va de la continuité avec les Guerres Médiques. On peut donc reprocher à Thucydide de n’aborder que partiellement cette stratégie, car elle apparait évidente à tout historien qui conçoit l’histoire de manière chronologique. Cependant, si l’Empire apparait inoffensif, l’idéologie athénienne, pour la survie de son hégémon, doit alimenter cette menace. Car cette ligue s’est avant tout construite contre l’Empire. Elle est donc dépendante de celui-ci.

Le fonctionnement de l’alliance est décrit par Thucydide (I, 97)  ainsi que par Aristote, dans la Constitution des Athéniens (23) : « Ce fut encore lui qui imposa aux villes alliées les premiers tributs, deux ans après la bataille de Salamine, sous l'archontat de Timosthénès (478 a. C. n.) ; et il fit prêter aux Ioniens le serment que désormais amis et ennemis seraient communs, en foi de quoi on jeta dans la mer des masses de fer rougies ». Cette alliance ne fait donc qu’un bloc, et même si elle ramifie un peu le monde grec par le fait que Spartes en soit écartée, elle entend représenter le monde grec et prendre en main sa destinée. Par sa collecte du phoros ou du « tribut Aristide », elle entend construire un flotte commune, à une armée commune en quelque sorte. L’économie étant l’un des premiers acteurs du phénomène de centralisation, après l’économie le politique suit logiquement et donc par voie de conséquence l’armée prend une connotation collective. Ce tribut, par ailleurs, semble être calqué sur le modèle impérial achéménide (Plutarque, Aristide, 224) . Cette équité était basée sur la qualités agraires de chaque polis. Ces méthodes de taxations rappelle, selon Olivier Picard , les méthodes d’Artaphernès « qui pour mesurer le tribut des cités ioniennes mesura leur chora en parasanges ». Il fallait que le tribut des Athéniens paraissent juste aux yeux des cités grecques qui considéraient, dans le passé, que le tribut du joug achéménide l’était également. L’idéologie se trouve donc ici confrontée à un principe de réalité : l’économie. Il ne fallait nullement paraitre plus dure que l’Empire au risque de détruire cette alliance. Opposition idéologique à l’Empire, donc, mais lien de continuité économique pour éviter un refus des cités ioniennes. Plus pression économique sera lourde, plus le déliement de la ligue sera important. Cela fut marqué par un retour significatif des cités grecques vers l’Empire.

Cependant, le coeur politique de l’alliance ne change pas et il est résumé par Périclès (Plutarque, Périclès, 17) : « Périclès inspirait à ses concitoyens une opinion de plus en plus haute d’eux-mêmes, en sorte qu’ils se croyaient appelés à une puissance plus grande encore. Il proposa et fit décréter que toutes les villes grecques, grandes et petites, de l’Europe et de l’Asie, dans quelques parages qu’elles fussent, seraient invitées à envoyer des députés à une assemblée, qui se tiendrait à Athènes, pour délibérer sur la reconstruction des temples qu’avaient incendiés les barbares ; sur les sacrifices qu’on avait voués aux dieux pour le salut de la Grèce, lors de la guerre contre les Perses ; sur les moyens d’assurer à tous la liberté et la sécurité de la navigation, et d’établir la paix générale. »

Les lieux de mémoires et leurs récits : culture et assise d’une nouvelle posture

« Le butin partagé, les Grecs firent voile vers l'isthme pour donner le prix de la valeur à celui d'entre eux qui s'était le plus distingué dans celte guerre. Lorsqu'ils y furent arrivés, les généraux se partagèrent les ballottes auprès de l'autel de Neptune, afin de donner leurs suffrages à ceux qu'ils croiraient dignes du premier et du second prix. Chacun pensant s'être plus distingué que les autres se donna la première voix; mais, pour le second prix, la plupart l'adjugèrent d'un commun accord à Thémistocle. Les généraux n'eurent parce moyen qu'un seul suffrage chacun, et Thémistocle eut la très grande pluralité pour le second prix. »

Hérodote, l’Enquête, VIII, 123

Principes théoriques à l’aune de la pensée de Pierre Nora :

Pour comprendre les édifications grecques, sinon les lieux de mémoires, qui relèvent  d’une instrumentalisation politique, il nous faut comprendre la pensée de Pierre Nora et notamment son ouvrage intitulé Les lieux de mémoire .

En 1978 Pierre Nora note que « l’histoire s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives ». Selon Pierre Nora, « un lieu de mémoire dans tous les sens du mot va de l'objet le plus matériel et concret, éventuellement géographiquement situé, à l'objet le plus abstrait et intellectuellement construit ». Si les études de Pierre Nora portent sur la période contemporaine nous pouvons néanmoins les transposer à la période antique pour comprendre les enjeux politiques de ce que nous appellerons l’idéologie, ou idéal, de la terre comme élément d’assise d’une posture politique fraichement établie. Il peut donc s'agir d'un monument, d'un personnage important, d'un musée, des archives, tout autant que d'un symbole, d'une devise, d'un événement ou d'une institution. « Un objet », explique Pierre Nora, « devient lieu de mémoire quand il échappe à l’oubli ». Cette absence de l’oublie est souvent du fait du politique, car il a vocation à inscrire une histoire commune dans le temps.

Cette instrumentalisation fut présente, comme nous allons le voire dès l’antiquité. De manière plus générale, ces lieux de mémoires, édifiés par les cités grecques ont dépassé le cadre unique de la période antique. A titre d’exemple, les révolutionnaires français ont comparé la bataille de Valmy à celle de Marathon. Les Perses étaient incarnés par les Prussiens et les Autrichiens alors qu’Hippias était incarné par Louis XVI. Les Espagnols  n’ont pas hésité à s’identifier aux Athéniens cédant le rôle de Darius à Napoléon. Les vainqueurs de la Première Guerre mondiale ont comparu la bataille de la Marne à  celle de Marathon, elle aurait sauvé leur civilisation.

A travers ces faits, nous assistons à un phénomène différent mais corrélé à ce que nous cherchons à démontrer. Ces exemples puisent dans différentes constructions politiques de lieux de mémoire. Il trouve un écho à l’histoire ancienne. La situation des grecs était différente, car elle touchait le passé très proche, d’une part et touchait leur histoire d’autre part. Il s’agit donc d’une instrumentalisation politique de leur propres histoire ne faisant pas écho à un référence lointaine. Il y a là donc quelque chose qui pourrait s’apparenter à une genèse.

Idéologie de la terre :

« Les morts gouvernent les vivants »

Auguste Compte, Catéchisme positiviste, 1852

Le premier exemple est celui de la bataille de Platées, dernière des grandes batailles, qui devient le symbole de la victoire et donc, par conséquent, de l’unité hellénique. Symbole apparement de la victoire de tous contre la menace Perse. De nombreuses tombes y sont présentent comme en témoigne Hérodote (IX, 85)  : « les Grecs donnèrent la sépulture à leurs morts, chaque nation aux siens à part ». Ces tombes sont accompagnées de tertres funéraires. On trouve une liste des poleis grecques ayant participé à la bataille. Celle-ci est inscrite sur la colonne principale (Hérodote, IX, 81) . Cette colonne est la preuve de l’hellénisme. Elle témoigne d’un passage obligatoire à Platées. Thucydide (I, 132)  rapporte également la présence d’un trépied en or avec des colonnes à Delphes. Ces inscriptions, rapporté par Thucydide soulignent l’importance de certaines cités dans la bataille, notamment de Ténos (Hérodote, VIII, 81) ou encore et principalement celle des Lacédémoniens.

Quelle est la signification réelle de Platées en tant qu’instrument du politique ?  Les Lacédémoniens avaient supporté le choc le plus rude dans la bataille, à savoir l’exercice du commandement. En ce sens, le récit de la bataille, appuyé par des monuments de mémoires, visait à faire de la bataille un moment décisif afin que Sparte deviennent le première de toutes les cités. Celle qui devait porter haut et fort la destinée grecque.

En opposition, Athènes dédia donc à Apollon un portique à huit colonnes, avec la présence d’éperons de navires accompagné d’une hopla prise à l’ennemi. Récupéré sur le pont de hellespont, cela soulignait un événement décisif. Il ne s’agissait pas moins de l’expulsion des Perses par les Grecs. Les Perses boutés hors du sol de la Grande Grèce en quelque sorte. La route entre l’Europe et l’Asie était désormais coupée. Cette coupure est symbolisée par la capitulation de Sestos qui sonne la fin du récit d’Hérodote (IX, 114-115) . Il est a noter qu’Hérodote souligne le courage des Athéniens dans l’accomplissement de cette coupure, signe d’une distinction particulière au combat : « comme Sestos était la plus forte place de tout le pays, on s’y rendit des villes voisines aussitôt qu’on eut appris l’arrivée des Grecs dans l’Hellespont ».

Face à cela, et comme les « les Péloponnésiens partirent » selon Hérodote (IX, 114-115), il fallait montrer au monde grec que les Spartiates avaient agit loin de leur cité, non comme à Platées cité relativement proche de Sparte, il fallait montrer que Spartes fut capable de déployer une armée loin de sa cité et en somme qu’elle se soucie, par là, des intérêts du monde grec, et non seulement du Péloponnèse comme ce fut la tradition. Des épigrammes, avec la présence de Simonide de Céos, apparurent dans les Portes Chaudes, témoin de la bataille de Léonidas, comme le souligne Hérodote (VII, 228) . Voilà ce qu’Hérodote met en avant : « quatre mille Péloponnésiens combattirent autrefois dans ce lieu contre trois millions d'hommes » ou encore « les amphictyons tirent graver ces inscriptions sur des colonnes, afin d'honorer la mémoire de ces braves gens. J'en excepte l'inscription du devin Mégistias, que fit, par amitié pour lui, Simonides, fils de Léoprépès ».  Par ailleurs Hérodote souligne également cette phrase : « étranger, va dire à Lacédémone que c’est ici que nous gisons, par obéissance à ses Lois ». C’est en quelque sorte, pour paraphraser le texte d’Eschyle, une bonne partie des mâles du Péloponnèse, loin de leur terre, qui périrent pour défendre les valeurs du monde grec.

Dans sa lutte pour le pouvoir Athènes continue cette politique et son exploitation des monuments commémoratifs. En 479, par exemple, des offrandes sont consacrées en l’honneur des combattants de Salamine : « la valeur de ces hommes leur vaudra pour toujours une gloire impérissable (…) que la Grèce toute entière ne connut le jour de la servitude ». Salamine devient la bataille à ériger, sinon à exploiter, pour contrecarrer le monopole politique lacédémonien de Platées. Car Platées n’a été rendu possible que parce que Salamine a triomphé de la « servitude ». Sans Salamine, la victoire de Platées n’aurait pas été possible. Si la Grèce est redevable à Platées, elle est d’autant plus redevable aux combattants de Salamine car ils furent pionnier. Le second épigramme, placé au dessus du premier, nous renseigne sur cette politique du choix, sinon de sélection de l’importance des batailles. Cet épigramme, « il y avait dans leur poitrine un coeur d’acter (…) ils se dressaient en avant devant les portes, face aux porteurs d’arcs » , revendique quant à lui une autre Bataille, celle de Marathon. Car elle recouvre un mode opératoire bien différent de ceux employés ci-dessous. Cependant, cette référence ne fait pas état d’un conflit entre deux hégémon mais plutôt au sein d’une seule et même cité.

Conflits politiques grecs internes :

La bataille de Marathon, si elle est opposée à la bataille de Salamine, c’est pour des raisons bien différente que celles évoquées ci-dessus. En réalité elle oppose Cimon à Thémistocle, deux génies aux visions bien différentes. Car à Marathon ont a combattu devant les portes « sans que la ville ait du être évacuée ». Il s’agit là en réalité d’un topos politique. Cela illustre un conflit important décrit par Platon entre démocratie modérée, à savoir les partisans de la terre, et la démocratie radicale, à savoir les partisans de la marine. Car il ne faut pas oublier que Thémistocle, en adoptant ses lois navales, a remit en question l’autorité des partisans de la terre, à savoir en majorité des aristocrates. Cependant, ces partisans de la terre furent les premiers à s’illustrer dans le conflit des Guerres Médiques. Hors jusqu’à maintenant ne furent célébrés dans cette victoire de l’hellénisme que les hommes du nouveau monde d’Athènes. A travers cette célébration de Marathon, il y a un sujet clivant qui est celui celui du confit interne présent à Athènes. Marathon ne tarde pas elle aussi à devenir une référence dans victoire de l’hellénisme, notamment sur la Stoa Poikilè de l’Agora dont Plutarque (Vie de Cimon, X) et Pausanias (Description de la Grèce, I, 15)  nous parlent.

Le thème très important du panhellénisme recouvre donc une réalité plus individuelle, propres aux conflits des cités les unes entre les autres d’une part et d’autre part au sein des cités ou les tendances politiques prélèvent et sélectionnent les victoires qui pourront faire préluder leurs idéaux politiques. Ces thèmes sont l’illustration de la place prépondérante de chaque cité dans les Guerres Médiques, sinon présente un faire valoir pour participer à l’édification de ce destin grec. Cependant, les Guerres Médiques dépassées et la crainte d’un retour achéménide évacué, cette cette mise en valeurs est accentué par Athènes qui délaisse peu à peu l’intérêt premier de la création de cette Ligue.

Évolution et situation impériale :

Vers un équilibre : l’émergence de la diplomatie lacédémonienne

« Sire Zeus a accordé à un seul homme le privilège de commander à toute l’Asie nourricière de brebis »

Eschyle, Les Perses v. 762-4

La fin du Ve siècle montre une forme d’acceptation réciproque des espaces géographiques. En quelque sorte, les espaces géographiques semblent figés par une reconnaissance commune. La menace du début du Ve siècle disparait au profit de négociation. Ce mode de négociation nouveau interroge. La figure du monde grec passe donc d’un interlocuteur sans importance, condamné à la guerre pour défendre ses intérêts, à celle d’une entité capable de dissuader l’Empire dans sa politique territoriale pour la force de la diplomatie. En quelque sorte, les grecs jouent d’égal à égal avec l’Empire comme l’explique Thucydide (VIII, 18) dans la conscientisation réciproque de l’espace géographique :

« Les Lacédémoniens et leurs alliés ont contracté alliance avec le Roi et Tissaphernès aux conditions ci-après : « Toutes les contrées et toutes les villes que possède le Roi ou qu'ont possédées les ancêtres du Roi appartiendront au Roi. « En ce qui concerne les revenus, soit en argent, soit en toute autre nature, que les Athéniens traient de ces villes, le Roi, les Lacédémoniens et leurs alliés en empêcheront conjointement la perception par les Athéniens. « Le Roi, les Lacédémoniens et leurs alliés mèneront conjointement la guerre contre les Athéniens. « Ni le Roi, ni les Lacédémoniens et leurs alliés ne pourront conclure la paix sans l'aveu des deux parties contractantes, à savoir le Roi d'un côté, les Lacédémoniens et leurs alliés de l'autre. « Si quelques sujets du Roi font défection, ils seront déclarés ennemis des Lacédémoniens et de leurs alliés. « Si quelques sujets des Lacédémoniens et de leurs alliés font défection, ils seront de même déclarés ennemis du Roi. »

Le reconnaissance territoriale de l’Empire marque en réalité la naissance d’une diplomatie égalitaire entre deux acteurs de poids. En ce sens que les acteurs semblent tendre vers un équilibre. La parole et les serments effacent le seul instrument de guerre, sinon une forme de survie, imposé au plus faible ; les Guerres Médiques représentaient un mode opératoire de survie car la puissance du monde grec n’était pas assez grande pour dissuader l’Empire avec de réelles négociations. Ces négociations sont détaillées par Thucydide (VIII, 58) :

« La treizième année du règne de Darius, Alexippidas étant éphore à Lacédémone, une convention a été conclue dans la plaine du Méandre entre les Lacédémoniens et leurs alliés d'une part, Tissaphernès, Hiéraménès et les fils de Pharnakès d'autre part, relativement aux affaires du Roi et de celles des Lacédémoniens et de leurs alliés. « Tout le pays qui en Asie appartient au Roi demeurera sa propriété. Il sera libre d'en disposer selon sa volonté. « Les Lacédémoniens et leurs alliés ne commettront aucun acte d'hostilité contre le pays du Roi, non plus que le Roi contre le pays des Lacédémoniens et de leurs alliés. « Si quelqu'un de Lacédémone ou des alliés commet un acte d'hostilité contre le pays du Roi, les Lacédémoniens et leurs alliés y feront obstacle ; de même si quelqu'un des sujets du Roi commet un acte d'hostilité à l'endroit des Lacédémoniens et de leurs alliés, le Roi y mettra obstacle. « Tissaphernès fournira, conformément aux engagements pris, des subsides aux vaisseaux actuellement présents, jusqu'à l'arrivée de la flotte du Roi. Si les Lacédémoniens et leurs alliés veulent entretenir leur flotte, une fois les vaisseaux du Roi arrivés, ils en seront libres. S'ils préfèrent recevoir de Tissaphernès des subsides, Tissaphernès leur en fournira, mais à la fin de la guerre les Lacédémoniens et leurs alliés restitueront à Tissaphernès toutes les avances qu'ils auront reçues de lui. « Après l'arrivée de la flotte du Roi, les vaisseaux, tant ceux de Lacédémone et de ses alliés que ceux du Roi, feront la guerre en commun, selon les décisions arrêtées par Tissaphernès d'une part, les Lacédémoniens et leurs alliés d'autre part. S'ils veulent mettre fin à la guerre avec Athènes, ils le feront d'un commun accord. »

Thucydide revient sur la reconnaissance géographique de l’Empire à plusieurs reprises. Il y a là quelque chose de fondamentale. Sans doute un acte qui vient figer les relations entre les différentes entités politiques. Par ailleurs, cette reconnaissance a des conséquences réelles : le sentiment culturel hellénique.

Il semblerait qu’il y ait une fracture dans ce que l’on pourrait appeler l’hellénisme culturel. En reconnaissant la souveraineté géographique de l’Empire sur ces territoires et ces sujets, les lacédémoniens se débarrassent du destin grec et de prise en main au profit d’une place sur la scène internationales. Le projet grec, fraichement né des Guerres Médiques, se trouve circoncit à la péninsule balkanique et à elle seule. Il semble donc qu’il n’y ait plus de projet en Asie mineur pour les Spartiates, du moins pas d’identités à sauver. Cela répond sans doute à un principe de réalité développé par Hérodote (IX, 106) , du fait essentiellement de l’éloignement de ces entités géographiques.

Par ailleurs, une notion nouvelle est frappante à la lecture du livre VIII de Thucydide : la notion d’ingérence étrangère. Jusqu’à maintenant, il s’agissait d’un combat de bloc culturellement soudé, pour les grecs, et menacé par la toute puissance achéménide. Les choses semblent évoluer, la guerre frontale cède sa place à la stratégie politique de grande échelle. Nous avions analysé cette stratégie politique d’ingérence de petite échelle dans le chapitre intitulé : « Les perses : un élément politique d’appuie majeur pour la conquête/accession au pouvoir (une ingérence acceptée) », ici nous assistons à une force militaire qui vient soutenir une entité politique contre une autre. Cet équilibre des puissances en réalité, en fait, un début de mainmise stratégique de l’Empire sur le monde grec.

Une politique des conquêtes modifiée ?

La Politique du paradis de Bruce Lincoln (chap. 4) nous renseigne de manière allégorique quant à l’idéologie de l’Empire. Cette analyse fait écho à celle développée dans le chapitre, ci-dessus, intitulé : « « Tout empire périra » : un survie au prix de conquêtes ? ».

Bruce Lincoln, de manière assez subtile, analyse les parcs de plaisances achéménides, à savoir le paradis. Si le souverain Perse s’attache à cultiver son jardin, forme allégorique du coeur de l’Empire, comme nous l’avions vu de manière très pratique dans le chapitre intitulé : « Analyses grecques de l’Empire » ou nous exposions les raisons de la fascination que suscitait l’Empire achéménide auprès des grecs pour la raison d’une perception particulière de la terre notamment ainsi que la gestion des artisans de cette terre (cf. politique nataliste, Pierre Briant), il semble que le jardin soit délimité par des murs, sinon des frontières. La frontière avait deux vocations : une première défensive vouée à prévenir les attaques et une seconde plus offensive pour exporter un modèle idéologique impériale, comme l’atteste notamment l’exportation du « bonheur pour l’homme »  . Cultiver son jardin, c’est faire grandir celui-ci, sinon le fructifier, et c’est bien la mécanique de l’Empire Achéménide, sinon des empires en général. Ce bonheur passe par la confiscation de « l’eau et de la terre ». Il appartient au Grand Roi de faire fructifier cette terre comme le chapitre 4 de Politique du paradis nous l’indique. L’eau est la condition sine qua non de la vitalité du jardin, sinon de l’oeuvre royale. L’eau soutient la vie, elle est la sève qui fait vivre sinon anime les corps. Par conséquent, elle est fondamentale dans la notion de bonheur. Pierre Briant , qui parle également de cette appropriation de l’espace géographique et de la politique du paradis, fait un parallèle entre l’aménagement du jardin et l’aménagement de l’Empire. Les plantes, de toutes les espèces même les plus récalcitrantes, sont un modèle microscopique à l’économie impériale, sinon du politique impérial. Soit une économie qui converge vers le tout, à savoir le centre l’Empire. Car chacun de ses peuples alimentent ce tout avec leur eau et de leur terre et participent donc à l’animation du coeur de l’Empire. Bruce Lincoln  note cependant que parler de plante au pluriel relève d’une erreur. Il faut pour cela renouer avec la religion zoroastrienne et ses mythes. Les textes parlent d’une plante unique. Sans doute, devrions-nous voire dans cette forme allégorique, un universalisme constitué par l’Empire Achéménide. Celle-ci est dépourvu de branche, donc sans ramification possible, sans défense, dépourvu d’écorce et d’épines, et a conservé un état de pureté millénaire .  Celle-ci était le résultat de toutes les espèces, pourrions-nous voir ici la force des ethnies multiples qui composent l’Empire.

Quant est-il cependant de la mauvaise plante, celle-là même qui s’oppose à la culture du jardin impérial ? Celle qui refuse de faire corps avec l’Empire, d’être une extrémité de celui ci, sinon le rempart de la projection idéologique impérial. Quelle est la conséquence de son refus d’irriguer les jardins impériaux et de sa victoire militaire sur le champ d’action de l’Empire ?

Eschyle (v. 575-585) nous renseigne davantage quant à la nouvelle posture du roi achéménide. Il souligne une rupture quant à l’autorité du royale : « ballottés par la mer furieuse, ô ciel ! déchirés, grands dieux! par les muets enfants de l'onde salée, pleurons ! La maison déplore le maître qu'elle a perdu. Les pères n'ont plus de fils! vieillards désespérés, l'immense catastrophe, hélas! change tout pour eux en douleur. Les peuples de la terre d'Asie n'obéiront plus longtemps au Perse; ils ne payeront plus longtemps le tribut imposé par un vainqueur; ils ne se prosterneront plus à terre devant la majesté souveraine : la puissance du roi a péri.  La langue des hommes n'est plus emprisonnée. Le joug de la force a été brisé : dès cet instant le peuple déchaîné exhale librement sa pensée. Une terre ensanglantée, cette île d'Ajax battue par les flots, a enseveli les fortunes de la Perse ». D’après Eschyle il y aurait un avant et un après les Guerres Médiques, en termes d’autorité royale. Si le figure royale est affaiblie alors la dynamique de l’Empire l’est aussi, cela parait évident. Car la figure royale est au centre de l’Empire. Elle canalise les forces vives des peuples soumis. Il y a là quelque chose de très interessant. Si l’Empire et sa puissance géographique s’est forgé par les armes, sinon la guerre et la conquête alors il ne peut périr que part les armes. Selon Eschyle, il y aurait dans les Guerres Médiques la fin de l’autorité royale, sinon la fin de l’unité impériale caractérisé par cette phrase : « la langue des hommes n'est plus emprisonnée ». Cependant cela parait très prématurée. Ce vers est simplement à mettre en corrélation avec les chapitre développé ci-dessus, intitulé : « Evolutions des postures grecques ».

Par ailleurs, l’affaiblissement de l’autorité royale, traduit concrètement par des révoltes, a toujours été un marqueur dans la construction de l’Empire, à des degrés bien différent certes mais pas au point décrit par Eschyle. Pour n’en citer que quelques unes : les nombreuses révoltes de l’Egypte ou encore celle de Bactriane en 465. S’il est vrai cependant que les Guerres Médiques ont affaiblies l’Empire comme le souligne Pierre Briant , elles ne traduisent pas l’élan général souhaité par Eschyle au Ve siècle, à savoir une insurrection qui a terrassée la puissance achéménide. L’Egypte, prompte à la révolte, ne sait pas saisie de l’occasion pour se révolter. C’est un indicateur important pour juger de la fragilité de l’Empire.

Cependant, nous pouvons affirmer logiquement que la figure même du roi, du « roi de guerre » pour reprendre l’expression de J. Cornette, est touchée. Car le roi est triomphant lors qu’il triomphe à la guerre. Un exemple abonde dans ce sens mais ne peut être interprété de manière exclusive car il peut appliqué à n’importe quelle situation, sinon n’importe quelle jalousie à l’encontre du pouvoir. Le frère de Xerxès, Masistès, selon Hérodote (IX, 108-113)  aurait profité de la situation du roi pour prendre le pouvoir. Le Satrape de Bactriane aurait en effet tenté de se révolter. Olivier Picard souligne que l’« l’hypothèse est invérifiable et de toute manière Xerxès réussit à faire massacrer le révolté et son entourage » . La corrélation est donc difficile à mettre en place.

Un fait, cependant, abonde dans l’idée d’une modification de posture de l’Empire achéménide. Comme celui-ci apparait fragilisée après la défaite, il renonce, dès l’année 479, à attaquer la Grèce. Eschyle (v. 790-92) traduit cette renonciation : « Ô Darius! ô notre maître ! que faut-il faire? Comment, après cette catastrophe, nous le peuple perse retrouverons-nous des jours heureux ?  Si vous ne portez jamais la guerre dans le pays des Grecs, votre armée fût-elle encore plus nombreuse que l'armée de Xerxès ; car la terre elle-même combat pour eux. » En effet, les Perses ne cherchent à récupérer cités perdues par le force. Mais ils maintiennent une certaine pression proche de ces cités, notamment à Larissa l’Egyptienne ou encore au palais de Voumi. Olivier Picard souligne que « la politique du Roi parait donc très cohérente, Il ne cherche pas à reconquérir la côte, ce qui pouvait sembler sinon impossible, du moins très difficile et sans grand profit, une fois perdue la maitrise de la mer Égée » .

Une politique cohérente donc menée par le Grand Roi qui voit, par ailleurs, d’un très bon oeil l’arrivée de grecs déchus sur son territoire, malgré l’humiliation subie.

L’Empire : une terre d’asile pour les grecs déchus

Dans les relations significatives entre le monde grec et l’Empire Perse se trouve des relations individuelles, d’hommes à hommes. Le monde grec voit, en effet, certains génies du Ve siècle évincés de sa terre et se diriger vers l’Empire. Ce phénomène n’est cependant pas nouveau. Hippias déjà s’était rendu au Grand Roi Achéménide après la chute de la famille des Pisistratides.

La menace Perse, autrefois combattue, est alors perçue par Thémistocle comme un rempart après son ostracisme. Thucydide (I, 138)  et Plutarque (Thémistocle, 29)   rapportent que Artaxerxès I, dont Thémistocle avait vaincu le père à Salamine, l’a comblé d'honneurs et lui a confié le gouvernement de cités grecques d'Asie Mineure, qu'il gère jusqu'à sa mort à Magnésie. Thucydide (VIII, 46)  rapporte également qu’Alcibiade s’est rendu en Asie mineure pour conseiller Tissaphernès. Alcibiade était pourtant le cerveau des opérations athéniennes pendant la guerre du Péloponnèse. La démocratie radicale, dont Thémistocle est à l’origine, est sans doute la raison de ces deux départ vers l’Empire.

Il existe donc, malgré un élan collectif d’opposition au monde Perse, des démarches individuelles qui s’appuient sur la puissance de l’Empire perse. En ce sens que Thémistocle, qui a pourtant arrimé Athènes à la mer et triomphé de l’Empire lors des guerres Médiques, finit ses jours dans l’entité politique à laquelle il pourtant s’est opposé en construisant sa légende. Lui qui a pourtant conditionner la politique d’Athènes à l’encontre de l’Empire, se retrouve dans le camp qui a permis à Athènes de soulever un hégémon sur le monde grec.

Il apparait cependant évident, au vu de la grandeur des personnages et la puissance de leur décisions, sinon de leurs poids sur la société, qu’il s’agissait de stratégie politique de dernier recours et d’opportunisme. On retrouve donc chez ces grands hommes une perception moins morale des idées, sinon moins figées, qui, sans doute fait leur génie.

En clair, l’Empire reste une opportunité individuelle pour certains grecs et la menace autrefois combattue se transforme en sécurité.


Sommaire : Vers un équilibre des puissances ou la puissance des dariques d’or

I. De l’hégémonie spartiate à l’ingérence Perse et la résistance :
A. L’hégémonie spartiate : la destinée du monde grec entre les mains de Spartes
B. L’ingérence Achéménide dans les affaires du monde grec :
C. La paix de 386 :
D. La renaissance de l’impérialisme Athénien en réaction à la soumission :

II. Origines et causes du mercenariat :
A. Origine politique et ses conséquences :
B. L’exemple de l’Anabase :
C. Problème économique : vers un système monétaire unifié ?

III. La naissance d’un nouvel arbitre dans un monde éparpillé ?
A. La politique d’Alcibiade en oeuvre :
B. La puissance de l’or Perse : les dariques d’or

Conclusion
Bibliographie
Notes de bas de page


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Vers un équilibre des puissances ou la puissance des dariques d’or

Nous l’avons vu, la menace perse s’est traduite par un conflit militaire, lors des Guerres Médiques. Une fois ce conflit soldé par une incroyable victoire, les grecs s’approprient un destin particulier, sinon une identité commune cependant tributaire de cette menace. En ce sens, que la Ligue de Délos trouve son fondement, sinon sa légitimité, dans la menace, réelle ou artificielle de l’Empire. Quoi qu’il en soit si la pérennité de la ligue dépendait de cette menace maintenu parfois artificiellement.

Cette unité se trouve, cependant, confrontée à une légitimité bataillé par deux hégémon différents, Spartes et Athènes. A mesure que le menace Perse disparait, l’unité grecque vole en éclat. Le IVe siècle, voit quant à lui l’émergence de l’ingérence directe de l’Empire dans les affaires des cités grecques, notamment de Spartes qui se veut pourtant être le garant de leur sécurité. Indirectement, les grecs se trouvent donc sous la sécurité de l’Empire, sinon sous un jeu d’équilibre des puissances.

De l’hégémonie spartiate à l’ingérence Perse et la résistance :

« Sparte exerce seule désormais son hégémonie sur toute la Grèce »

Thucydide, La guerre du Péloponnèse (VIII, 2, 4)

L’année 404, et la victoire d’Aigos Potamos, se solde par une victoire générale du camp lacédémonien et son corollaire, l’hégémonie spartiate. La destinée grecque se trouve maintenant entre les mains des spartiates. Elle se trouve être le garant des intérêts grecs sur la scène internationale. La guerre de Corinthe vient cependant bouleverser cette hégémonie et Sparte se retrouve alors isolée. La paix du Grand Roi de 386 vient modifier les rapports de forces dans le monde grec, sinon entamer une longue période d’ingérence dans les relations externes entre les cités. L’ouvrage de référence sur la période est Les Helléniques de Xénophon. Plutarque, également, nous renseigne par ses biographies : Vie de Lysandre ou encore Vie d’Agésilas. Par ailleurs, l’ouvrage de Edmond Lévy, Spartes, histoire politique et sociale, est fondamentale pour analyser les différents rebondissements spartiates du IVe siècle.

L’hégémonie spartiate : la destinée du monde grec entre les mains de Spartes

De manière générale, le début du Ve siècle est marqué par un mécontentement des Alliés, particulièrement de Thèbes et de Corinthe. Les Alliés sont marqués par une volonté de châtier Athènes. Sparte en profite pour mener une campagne impérialiste sous la férule de Lysandre. Matériellement cet impérialisme se traduit par l’installation de gouverneurs lacédémoniens, appelés harmostes. Ces cités nouvellement soumises, appelées décarchies en référence au phoros 1 000 talents levés annuellement, sont assez nombreuses et touchent également d’ancienne poleis de la Ligue de Délos. La campagne d’Elis est révélatrice de ce contexte. Agésilas lance deux campagnes pour soumettre la cité d’Élis. 20 000 hectares du domaine de Scillonte sont octroyés à Xénophon. Pour la première fois Sparte est amenée à jouer rôle important et durable dans la politique générale du monde grec.

Athènes  semble vaincue et Sparte est la seule cité hégémonique. Cette hégémonie suppose d’avoir un ennemi commun à combattre : l’empire achéménide. Comme ce fut le cas lors de l’édification de la ligue Athénienne. Le procéder est toujours le même : fédérer autours d’un ennemi commun et désigner par tous. Il s’agit là du traditionnel chant du bouc. Le seul problème, qui plus est de taille, est que le Grand-Roi a directement financé la victoire Spartiates contre Athènes. Il semble donc que la politique Spartiate soit vouée à l’échec.

L’ingérence Achéménide dans les affaires du monde grec :

Donc si Sparte se lance dans une politique de prostates, sinon de gendarme du monde grec, celle-ci s’avère contradictoire. Car les spartiates sont appuyés par la force achéménide. En effet, et au delà de la propagande de défense des poleis grecques menées par Lysandre, les forces maritimes spartiates sont alimentées par l’Empire, plus exactement par Cyrus le Jeune. Il s’agit en réalité d’une fuite en avant vers l’impérialisme.

Car l’impérialisme est une réponse aux différentes crises que subit Spartes. La première, et majeure, est l’oliganthropie. Cela déstabilise fortement la cité de Sparte, soumise à chaque instant à l’implosion. Deuxièmement les catégories intermédiaires, sans revenu, n’ont pas accès à la citoyenneté malgré l’agogê et la pratique récurrente de la guerre. Or ils ont tendance à devenir nécessaire à la politique impérialiste de Sparte ainsi qu’à son semblant d’équilibre. Cependant, ils sont considérés comme une véritable menace, particulièrement après la conspiration de Cinadon. De ce fait, ils sont expédiés le plus loin possible et participe à cette politique impérialiste instable.

Ce phénomène d’ingérence est amplifié dans la suite des événements puisque Artaxerxès II va financier la coalition menée par Argos, Athènes, Corinthe et Thèbes contre Sparte. Par la suite, une fois Athènes considérablement renforcée. Celle-ci apparaitra comme menaçante pour l’Empire. Et par conséquent, Artaxerxès II se rangera à nouveau du côté des Spartiates. Une proposition de paix sera alors proposée par le Grand Roi. Elle est cependant rejetée par Sparte mais sera finalement votée en 386.

La paix de 386 :

«  et une paix telle que le Roi pouvait la désirer depuis longtemps; pour les villes grecques d’Asie Mineure, les Lacédémoniens ne veulent pas les disputer au Roi, il leur suffit que toutes les îles et les autres cités aient l’autonomie »

Xénophon, Helléniques, IV, 8, 14

Celle-ci nous est connu grâce à Xénophon, dans Les Helléniques, ainsi qu’à Andocide, proche d’Alcibiade, orateur et auteur d’un discours intitulé Sur la Paix.  Elle  répond tout d’abord à un principe de réalité selon Justin, dans Histoire universelle (VI, 6) : « iI rend à chaque république sa liberté, ses possessions, non pour mettre un terme aux maux de la Grèce et aux haines meurtrières qui sans cesse l'armaient contre elle-même, mais pour en retirer ses armées et les employer contre l'Égypte, qui avait fourni des secours aux Spartiates. Epuisés par tant de combats, les Grecs s'empressent d’obéir ».

La Paix se présente comme un ordre royal du Grand-Roi. La figure diplomatique d’égal à égal acquise à l’issue des Guerres Médiques se trouve modifiée par une nouvelle diplomatie dans laquelle les grecs s’exécutent devant les ordres du Grand Roi comme le souligne Xénophon : « cela fait et les villes ayant juré d'observer la paix proposée par le roi, on licencia les troupes de terre, on licencia les armées navales ». Chacun prête serment.

Elle est l’un des premiers exemples de la koinè eirénè (V, 1, 35) : « c'est ainsi que fut conclue entre les Lacédémoniens et les Athéniens et leurs alliés cette paix, qui fut la première depuis l'ouverture des hostilités qui suivirent la destruction des murs d’Athènes ». L’objectif, ici, pour le Grand Roi est d’affirmer, à l’exception de Lemnos, Skyros et Imbros, sa domination sur les territoires d’Asie Mineur (V, 1, 30-32) : « Aussi, quand Tiribaze invita à se présenter ceux qui voulaient prêter l'oreille aux conditions de paix envoyées par le roi, tous les Grecs s'empressèrent de se rendre à son invitation. Quand ils furent réunis, Tiribaze, leur montrant le cachet du roi, leur lut sa lettre. En voici la teneur : « Le roi Artaxerxès pense qu'il est juste que les villes d'Asie soient à lui, ainsi que Clazomène et Chypre parmi les îles, et qu'on laisse leur indépendance aux autres villes grecques, petites et grandes, à l'exception de Lemnos, Imbros et Scyros, qui seront comme par le passé aux Athéniens. Ceux de l'un ou l'autre parti qui n'accepteront pas cette paix, je leur ferai la guerre de concert avec ceux qui l'accepteront, sur terre et sur mer, avec mes flottes et mon argent ».  Sparte est alors officiellement investie, par une autorité supérieure, de la mission de prostates du monde grec comme le souligne Xénophon (V, 1, 36) :

« Au cours de la guerre, la balance était plutôt restée égale entre les Lacédémoniens et leurs adversaires; mais la paix appelée paix d'Antalcidas rapporta plus de gloire aux Lacédémoniens; car, en se faisant les champions de la paix proposée par le roi et en obtenant l'indépendance des villes, ils s'adjoignirent Corinthe pour alliée, ils affranchirent les villes béotiennes de la domination de Thèbes, but qu'ils visaient depuis longtemps; enfin ils firent cesser l'occupation de Corinthe par les Argiens, en les menaçant d'une invasion, s'ils n'évacuaient pas cette ville. »

Thèbes va perde sa domination sur la Béotie (V, 1, 32) : « Tous jurèrent de les ratifier; mais les Thébains prétendant jurer au nom de tous les Béotiens, Agésilas refusa de recevoir leurs serments, s'ils ne juraient pas, comme le portait la lettre du roi, que toutes les villes, petites et grandes, seraient indépendantes. Les députés de Thèbes déclarèrent que ce n'était pas dans leurs instructions. « Allez donc, dit Agésilas, et demandez à vos concitoyens ce qu'ils veulent faire. Annoncez-leur aussi que, s'ils refusent ces conditions, ils seront exclus du traité ». Spartes devient donc la figure tutélaire de l’Empire. Elle est directement missionnée par l’Empire. La hiérarchie des rapports de forces évoluent au profit d’un Roi devenu gestionnaire des affaires grecs.

La renaissance de l’impérialisme Athénien en réaction à la soumission :

Face a la nouvelle figure médisante de Spartes sur la scène internationale, Athènes reconstruit une nouvelle hégémonie sous la houlette du stratège Timothée, fils de Conon. Il s’agit ici d’un nouveau chantier, celui de la reconstruction de la politique impérialiste. L’année 378-7 ouvre une ère nouvelle : celle de la reconstitution de la confédération athénienne grâce notamment au décret d’Aristoteles. Diodore de Sicile, et sa Bibliothèque Historique nous apporte un éclairage à ce sujet sur les origines de cette création (XV, 29) . Xénophon nous enseigne également sur ses origines dans Les Helléniques (V, 4, 63-67) . Elle prend pour enseignement, sinon corpus idéologique, l’héritage de la première Ligue et s’appuie sur les théories Isocrate, plus particulièrement son Panégyrique. L’idée avancée dans les années 380 est qu’Athènes doit être l’hégémonie naturelle pour combattre les Perses, sinon le rempart infaillible en réponse à la collaboration des Spartiates. Un partie du Panégyrique (173-175) résume largement la pensée de l’auteur :

« Rejetons avec horreur de pareils desseins, embrasions avec zèle une entreprise capable de rétablir la sûreté dans les villes, et de remettre la confiance entre les républiques. Le projet est simple et facile à comprendre. Pour ramener parmi nous la paix et pour la cimenter, il faut nécessairement réunir nos forces contre les Barbares; et il n’y aura jamais de concert entre les Grecs, à moins qu’unis d’intérêts, ils ne marchent contre l’ennemi commun dont la haine les aura réconciliés. Quand nous aurons exécuté ce projet, et que nous serons affranchis des besoins de l’indigence, de ces besoins qui rompent les liens de l’amitié, qui jettent la discorde entre les parents, qui font naître parmi les hommes les dissensions et les guerres; alors n’en doutons nullement, nous nous rapprocherons les uns des autres, et nous établirons entre nous une amitié sincère et durable. Animés par de tels motifs, faisons notre objet principal de transporter la guerre de nos contrées dans l’Asie; et que l’expérience acquise dans nos combats mutuels nous serve du moins dans l’entreprise que nous méditons contre les Barbares ».

Isocrate (171-172) souligne la position de Sparte et la rend responsable du déchirement grec : « mais que voit-on? revêtus des premières dignités de leurs villes, ceux qui gouvernent épuisent toutes leurs forces sur des intérêts médiocres, et nous abandonnent, à nous qui n’avons aucune part aux affaires publiques, le soin de donner des conseils sur les objets les plus importants. Mais, plus nos chefs manquent de grandes vues, plus nous devons nous appliquer à trouver des remèdes aux divisions qui nous déchirent. C’est en vain, aujourd’hui, que nous scellons des traités: nous ne terminons pas les guerres, nous ne faisons que les suspendre, en attendant le moment favorable de nous porter des coups mortels ».

Car pour Isocrate, comme nous avons tenté de le montrer, l’héritage, sinon la bonification réelle, des Guerres Médiques est le principe d’unité qui en a découlé. Unité nouvelle dans un monde auparavant frappé par l’éparpillement et déchirement permanent. On ne le dira sans doute jamais assez, mais une phrase de la pensée d’Isocrate résume a elle seule toute la suite possible des Guerres Médiques : « et il n’y aura jamais de concert entre les Grecs, à moins qu’unis d’intérêts, ils ne marchent contre l’ennemi commun dont la haine les aura réconciliés ». Nous sommes donc ici dans l’exact même stratégie employée au Ve siècle, à savoir le rêve sinon l’idéal de défendre un monde grec unit face à l’agresseur perse. Ce rêve, sinon ce destin commun, ne peut se comprendre sans l’identité perse. Car cette identité menaçante est à l’origine de cette unité. Il s’agit d’une édification identitaire en réaction à quelque chose.

Par conséquent, ce destin commun, s’il veut assurer sa pérennité ne passera que par la conquête de l’Empire. Alexandre l’avait très bien comprit. C’est pour cela, qu’il a inscrit sa politique de conquête dans l’héritage du destin grec. Cette politique s’est appuyée sinon alimenté de l’esprit de revanche dans le but de d’embraser les mentalités collectives, sinon l’énergie grecques toutes entières.

Cette nouvelle Ligue Athénienne est une alliance ouverte et destinée à s’ouvrir à de nouveaux membres. Par ailleurs, il est à noter que cette alliance entérine la paix du Grand-Roi de 386 puisqu’elle reconnait la souveraineté achéménide en Asie Mineur. Par conséquent, la Ligue se construit comme un élément de défense et non dans une posture de conquête. Ce synedrion est composé d’un ensemble de conseillés qui siègent, représentants des Alliés. Sous la présidence à Athènes, les petites poleis pouvaient gagner en importance. Il y avait donc une émancipation possible. Les Athéniens montrent, dès le départ, le souci de donner des garanties aux alliés, ni phroura ni harmoste ne seront présentes. Ils tiennent à rassurer quant à un passé quelque peu autoritaire. Par ailleurs, cette politique se démarque de celle de Lysandre dans le sens ou aucun phoros ne sera prélevé, seulement une forme de syntaxis qui reste objectivement un phoros déguisé.

Origines et causes du mercenariat :

« Nous en sommes arrivés à un tel point de folie que, manquant nous-mêmes du nécessaire de chaque jour, nous faisons les derniers efforts pour entretenir des mercenaires, et nous opprimons nos alliés, nous les chargeons de tributs pour assurer le salaire de ces communs ennemis de tous les hommes. »

Isocrate, Discours sur la Paix (v. 46)

Origine politique et ses conséquences :

Les principaux écrits de Pierre Ducrey  sur le sujet nous permettent de dresser une situation et d’en souligner les conséquences. La guerre dans le monde grec antique fut avant tout un mode opératoire traditionnel qui mêle pleinement le Politique de la Polis. Il s’agit d’un combat codifié comme nous avons pu le voire dans le premier chapitre intitulé : « Le fonctionnement du monde grec ». L’un de ses principaux défauts est liés à sa vitesse d’exécution, peu mobile. Très lente, la phalange nécessite, en effet, une forte solidarité entre les soldats, sinon une ordination irréprochable. Par conséquent, elle dépend indirectement de l’état de stabilité objectif d’une polis.

La lenteur de sa mobilisation est un problème majeur. Car elle ne répond plus à la réalité entamée par le guerre du Péloponnèse, ou les combats s’intensifient tout en gagnant en rapidité. La guerre du Péloponnèse introduit donc un allongement des expéditions militaires ainsi qu’une variété de techniques nouvelles et généralisées. L’hyper intervention des Spartiates, sous la commande d’Agésilas notamment, en Décélie, témoigne de cette intensification de la guerre mobile et longue. Car les soldats ne se content pas de gagner et de repartir mais ils déposent leur nouveau siège dans la polis nouvellement conquise.

La cohésion, élément fondamental de la phalange, ne correspond plus réellement à la situation politique du monde grec au IVe siècle. Le citoyen, auparavant, s’engageait pour défendre sa terre et sa cité. Son combat était étroitement lié à une forme isonomique, sinon une égalité des droits. Il va donc de soit que la stabilité politique de la cité rend compte du degrés de cohésion entre les citoyens. Cependant, à l’issue de la guerre du Péloponnèse les citées grecques traversent une crise politique. Le problème principal est lié à l’absence de terre, sinon le manque objectif, corollaire des ravages de la guerre fratricide. Ces ravages ont entraînés un appauvrissement de certaines familles, ennemi de la sédentarisation.

Le mode opératoire traditionnel est soumis à une évolution des techniques, notamment de la poliorcétique ou encore des fortifications. Le progrès technique impose ainsi au modèle de la phalange une modernisation afin d’éviter une fin programmée. A titre d’exemple, la poliorcétique entraine une recrudescence de troupes légères et mobiles. Par ailleurs, les fortifications supposent des troupes présente sur le long terme, appelée phroura. Celle-ci donc oriente l’artisan de la guerre vers une sédentarisation militaire, sinon vers un métier militaire. Globalement les mercenaires s’engagent en raison du manque de place dans leur polis d’origine.

Toutes ces caractéristiques provoquent des mutations importantes sur les forces actives, sinon des artisans de la guerre. Cela entraine ainsi une forme de professionnalisation de la guerre, élément nouveau. Cette professionnalisation spécifique entraine donc une spécialisation, et donc nécessairement une rémunération. Il y a donc une rupture totale avec l’idéal ancien du citoyen soldat. On assiste à la naissance des misthophoroi, sinon de mercenaires. Par conséquent avec le misthos, on assiste à une désagrégation du corps civique des cités grecques. La récompense du combat ne réside plus dans les honneurs de la cité mais dans les valeurs de la monnaie.

Le principal problème réside dans la trahison potentielle du soldat qui peut passer à l’ennemi si son chef n’a plus d’argent.  Cette trahison est principalement redoutée les chefs militaires. Ainsi la loyauté qui faisait la guerre dans le monde d’antan semble s’étioler. Les soldats n’hésitent plus à avoir recours au pillage.

Ils sont particulièrement mal perçus comme ils témoignent de changement de valeurs fondamental. Isocrate présente les mercenaires, dans discours Sur la Paix  (12-17) , comme des hommes sans patrie, sinon des déserteurs. Il invite tacitement à s’en méfier (46-48) : « nous en sommes arrivés à un tel point de folie que, manquant nous-mêmes du nécessaire de chaque jour, nous faisons les derniers efforts pour entretenir des mercenaires, et nous opprimons nos alliés, nous les chargeons de tributs pour assurer le salaire de ces communs ennemis de tous les hommes. Nous sommes tellement inférieurs à nos ancêtres, non seulement à ceux qui se sont couverts de gloire, mais à ceux qui ont encouru la haine des Grecs, que, lorsqu'ils avaient décrété d'entreprendre quelque guerre, ils regardaient comme un devoir, bien que l'acropole regorgeât d'argent et d'or, de s'exposer au danger pour assurer le succès de leur résolution; tandis que maintenant, dans l'état de pauvreté où nous sommes réduits, et lorsque nous possédons une population si nombreuse, on nous voit, à l'exemple du Grand Roi, recruter nos armées avec des soldats mercenaires ».

Cela participe d’une forme individuelle et non plus seulement étatique - comme nous l’avions vu déjà dans le chapitre intitulé : « L’Empire : une terre d’asile pour les grecs déchus » - des relations internationales entre le monde grec et la menace perse. En ce sens, qu’il ne s’agit plus vraisemblablement d’opposition entre des blocs figés, comme ce fut le cas avant la guerre du Péloponnèse, mais d’un ensemble inter-action compliquée entre différentes entités extrêmement flexible politiquement. La notion de menace n’est donc lié non plus à un corpus de valeurs qui pourrait déterminer le soldat à défendre sa polis, comme nous l’avions démontré dans le chapitre intitulé : « Vers un conflit inévitable : entre intégration et confiscation de souveraineté, l’art d’exister les mains liées », mais simplement à une raison monétaire. En ce sens, l’analyse de la menace perse prend une tournure élargie et éparpillé, notamment à l’échelle d’une bande armée et non plus seulement d’une cité. Olivier Picard souligne que l’emploie « massif de mercenaires vient compliquer le jeu politique des rapports entre les cités et l’Empire » . En son caractère instable et flexible, oriente le jeu des relations de manière totalement incertaine. L’argent étant devenu plus que jamais le nerf de la guerre, les relations de la scène internationale  du IVe siècle semblent, plus que jamais s’orienter en fonction de la valeurs des réserves monétaires.

L’exemple de l’Anabase :

L’expédition militaire, sinon la remontée vers la mer, des Dix-Mille nous a été rapporté en détail par Xénophon dans son Anabase. La précision de ce rapport tient à la participation de son auteur. Il s’agit d’une expédition menée par Cyrus le Jeune, fils de Darius II, de l’Iran vers la mer Égée. Cyrus se révolte contre son frère et souhaite prendre le pouvoir à Persépolis. L’intérêt de l’ouvrage de Xénophon tient à la part des descriptions importantes accordées aux mercenaires grecs, qui pour beaucoup viennent d’Arcadie, région particulièrement touchée par la concentration des terres.

Cyrus affronte Artaxerxès II à la bataille de Counaxa, en Mésopotamie à une centaine de kilomètres de Babylone. Cyrus y trouve la mort, son corps d’armée est vaincu alors que les mercenaires grecs sont, eux, vainqueurs des troupes qui leur sont opposées.  Désormais seuls en pays hostile, les Dix Mille tentent de négocier avec Artaxerxès II et son intermédiaire le satrape Tissapherne. Ce dernier gagne la confiance des généraux grecs Cléarque et Mennon mais il leur tend un piège et les fait assassiner. Conduits par Xénophon, les Grecs réussissent à échapper aux troupes royales malgré leur manque de cavalerie. Ils rejoignent l'Arménie puis les côtes méridionales du Pont-Euxin à proximité de Trapézonte. Arrivés dans la région des Dardanelles (l'Hellespont), ils s'engagent dans des luttes intestines entre Thraces.

Phénomène nouveau, l’armée est composée de 10 000 mercenaires grecs au service d’un Perse. Malgré des rivalités internes, l’armée conservent sa cohésion jusqu’au retour vers Pergame au terme d'une marche de 1 300 km. Il s’agit d’une modification totale des rapports entre les blocs, sinon entre les Grecs et l’Empire. Délaissé par leur patrie, les mercenaires grecs s’engagent, auprès d’un perse, pour combattre le Grand Roi. C’est en cela que le mercenariat bouleverse le jeu politique. Car son orientation militaire dépend de sa rémunération. Le livre 7 de Xénophon, dans l’Anabase , souligne cette problématique majeur. Il souligne un passage au service de Seuthès II, roi autoproclamé de Thrace afin de l'aider à reconquérir son royaume. Par conséquence ce nouveau mercenariat ne suit plus du tout logique entamée après les Guerres Médiques. L’unité est brisée au profit d’une recherche récurrente de salaire et d’employabilité.

Problème économique : vers un système monétaire unifié ?

Quel est le coût de cette nouvelle guerre mobile et de ses artisans qui fausse le jeu politique sur la scène internationale ? Nous avons quelques chiffres. Selon Xénophon (Helléniques, I, 5, 4-7)  Lysandre demande à Cyrus un salaire de quatre oboles par jours, ce qui représente le sixième d’une drachme. Dans la Vie d’Alcibiade (XXXV) , Plutarque nous indique également le salaire d’un marin athénien, 3 à 4 oboles par jours. Selon Marinovic , au IVe siècle, il s’agirait plutôt de 5 oboles par jours, en plus des indemnités de nourriture fournies en nature ou en monnaie.

Par conséquent, l’armée représente un réel cout. La flotte athénienne représentait, par exemple, un cout de 600 talents par an, largement appuyé par les cités alliées. Le thème de la liberté des cités employé par Spartes a eut pour vocation de fragiliser ce système. Les cités, par conséquent, s’affranchissent du phoros. De manière générale, le financement ne fonctionne plus vraiment. Si les riches citoyens étaient employés par le système des liturgies, l’état de guerre permanent du IVe siècle commence peu à peu à gripper le système du financement participatif. Il semblerait que les honneurs de la cité ne soient pas assez convaincantes pour les riches mécènes. Ainsi les revenus des cités deviennent de plus en plus limités. Elles ne tardent pas d’ailleurs à faire appel à l’aide extérieur mener à bien leur différentes batailles.

Olivier Picard souligne que l’un des problèmes majeurs du IVe siècle réside dans le manque de moyen orchestré par la guerre permanente. Ce manque de moyen « introduit une donnée nouvelle dans les relations financières internationales » . Si traditionnellement l’armée royale vivait sur les terres de conquêtes, le mercenaire est lui payé en monnaie. Par ailleurs, son origine géographique lui incombe de pouvoir réutiliser cette monnaie en cas de retour en Grèce. Si l’or de l’Empire ne manque pas, il lui faut faire face à un problème nouveau, la circulation monétaire.

L’Économique du Pseudo-Aristote (II, 25) nous apporte quelques renseignements et souligne ce problème de monnayage : « Datamès le Perse pouvait bien tirer pour ses soldats leur subsistance journalière du pays ennemi, mais il n'avait pas de monnaie pour les solder. Et lorsque, le terme étant échu, on lui adressa des réclamations, il employa le stratagème suivant : Il fit assembler les troupes et leur dit, qu'il ne lui manque pas d'argent, mais que cet argent se trouve dans un pays qu'il leur indique. Aussitôt il leva le camp et dirigea sa marche vers le lieu désigné. Lorsqu'il en était peu éloigné, il prit les devants et enleva des temples qui s'y trouvaient tous les vaisseaux d'argent creux. Puis, les chargeant sur des mulets, il les exposa pendant la route à tous les regards, comme si ces vaisseaux étaient d'argent pur. Les soldats, trompés par l'apparence, reprennent courage et se réjouissent d'avance de recevoir leur paye. Mais Datamès leur annonce qu'il doit envoyer cet argent à Amisus pour l'y faire monnayer. Or, Amisus était à plusieurs journées de distance, et on était en hiver. Pendant tout ce temps il abusait de l'armée, ne lui donnant que les subsistances nécessaires; il prenait à son service exclusif tous les artisans, les taverniers, les brocanteurs qui se trouvaient dans le camp, et leur défendait toute autre relation. » Ce problème de monnaye qui recouvre un problème nouveau apparait un procédé courant. Celui de réquisitionner les trésors qui « dorment » dans les temples selon Olivier Picard.

Pour pallier à ce problème, l’Empire se lance dans la constitution de faux monnayage, sinon d’imitations de tétradrachmes attiques, que l’on trouve par centaines dans les trésors de l’Egypte jusqu’en Asie Mineure. Olivier Picard note que ces « imitations sont très fidèle, et il est difficile de distinguer une pièce authentiquement athénienne, frappée sans grand soin, dans un style assez frustre, des imitations soigneuses » . Ces imitations ont été retrouvées par centaines en Egypte notamment, à Tell el Mashkouta .

La frappe de ces monnaies, durant le IVe siècle, est si importante dans l’équilibre de ce nouveau monde qu’Athènes en 375  accorde un caractère légal à toutes ces monnaies de bon aloi . Ainsi la loi assimile les monnaies impériales aux monnaies authentiquement athéniennes :

« Il a plu aux nomothètes, sous l'archontat d'Hippodamos; Nicophon a proposé : d'accepter la monnaie attique chaque fois qu'elle est d'argent et porte l'empreinte officielle, que le contrôleur officiel, assis entre ses tables, examine la monnaie conformément à ces principes chaque jour, sauf lorsque l'on fait le paiement des contributions, qu'il se trouve alors au bouleutérion. Si quelqu'un apporte de la monnaie étrangère frappée de la même empreinte que celle d'Attique, si elle est bonne, qu'il la lui rende. Si cette monnaie est fourrée de bronze, de plomb ou qu'elle est fausse, qu'il la perce aussitôt et qu'elle soit consacrée à la Mère des Dieux et déposée à la Boulé. Si le contrôleur n'est pas à son poste et ne contrôle pas la monnaie selon la loi, que les membres de l'assemblée du peuple lui fassent donner cinquante coups de fouet. Si quelqu'un n'accepte pas l'argent que le contrôleur a vérifié, que ce qu'il met en vente ce jour-là lui soit confisqué. (Il a proposé aussi) de dénoncer les délits du marché du blé aux contrôleurs du blé, les délits de l'agora et du reste de la ville haute aux syllogeis, ceux du marché (emporion) et du Pirée aux surveillants du marché, excepté ceux qui concernent le marché du blé, ces délits-là seront dénoncés aux contrôleurs du blé. »

A travers ces différents faits, l’hypothèse d’un début de système monétaire unifié semble probant. En effet, il n’est plus question de menace et de conflit comme moteur dans les relations internationales, mais plutôt d’économie comme moyen d’indépendance. L’économie recouvre bien évidement un caractère politique. Le fait que l’Empire se lance dans une fabrication similaire à la monnaie grecque entame un phénomène nouveau : la primeur des mercenaires. En effet, les mercenaires sont à l’origine de ce rapprochement économique et donc politique. Ainsi, les affrontements changent de dimension, l’affrontement des blocs laissent place à un affrontement d’entités individuelles. Par ailleurs, en acceptant une monnaie étrangère mais similaire, Athènes doit d’une certaine manière entériné, sinon accepter, le phénomène du mercenariat et tout le corpus idéologique que cela suppose. Enfin, l’économie est un premier bras de levier dans les unifications géographiques. En ce sens, que depuis toujours si l’unification politique ne fonctionne pas alors l’arme économique est envoyé par enrayer un appareil Politique. La réalité est que l’appareil politique est déjà plus ou moins enrayé car le Grand Roi se pose déjà en gestionnaire des relations grecques. Ainsi, une unification possible de la Grèce et l’Asie est rendu possible par cette unification économique partielle.

La naissance d’un nouvel arbitre dans un monde éparpillé ?

 La politique d’Alcibiade en oeuvre :

Jacqueline de Romilly nous rapporte dans une biographie, Alcibiade : Ou les dangers de l’ambition, du personnage les tournant clefs de sa vie. Personnage fascinant et fasciné par l’ambition, Alcibiade a été le cerveau des opérations athéniennes pendant la guerre du Péloponnèse. Un hermès lui a cependant coûté la liberté. Il s’enfuit à Spartes  et permet à la cité lacédémonienne de remporter la guerre. Séducteur, il commettrait l’irréparable avec la femme d’Agis II. Son assassinat est commandité. Alcibiade décide donc de joindre l’Empire Achéménide. Sa brillante conception des relations internationales lui permet d’être choyé par le Grand Roi.

Que pourrions-nous signifier derrière la phrase : « la politique d’Alcibiade » ? Tout simplement les conseils politiques qu’Alcibiade a donné à Tissaphernès concernant les relations a adopter entre les cités grecques. Ces conseils politiques portent sur une gestion, sinon la création d’un équilibre, orchestré par le Grand Roi. C’est pour cette raison que le IVe siècle verra la domination du Grand Roi dans les affaires grecques. Thucydide (VIII, 46) l’explique très bien.

« Alcibiade conseillait également à Tissaphernès de ne pas trop se hâter de terminer la guerre ; de ne pas donner au même peuple la suprématie sur terre et sur mer, en appelant la flotte phénicienne qu'il faisait équiper et en augmentant le nombre des mercenaires grecs. Il fallait, au contraire, laisser la domination sur terre et sur mer partagée entre les deux peuples et offrir continuellement au Roi la latitude d'opposer l'un d'eux à celui qui lui causerait de l'embarras. Par contre, si la suprématie sur terre et sur mer venait à être concentrée dans les mêmes mains, le Roi ne saurait à quels alliés faire appel pour ruiner le peuple le plus puissant et il se verrait obligé d'engager plus tard une lutte coûteuse et pleine de périls. Les risques seraient moins grands, la dépense moins forte, sa sécurité complète, s'il laissait les Grecs se détruire les uns les autres. Mieux valait, disait-il, associer les Athéniens à l'empire du Roi, ils étaient moins portés à chercher la domination sur terre ; tant en actions qu'en paroles, c'était leur concours qui pour la guerre était le plus utile ; ils soumettraient à leur propre pouvoir les contrées maritimes et au pouvoir du Roi les Grecs de son empire. Au contraire, les Lacédémoniens viendraient les délivrer. Il ne fallait pas attendre d'eux qu'affranchissant du joug des Athéniens d'autres Grecs, ils ne les affranchissent pas également du joug des Perses. Le seul moyen état de les empêcher de terrasser les Athéniens. Alcibiade conseillait donc à Tissaphernès d'user les uns par les autres et quand dans la mesure du possible il aurait amoindri les Athéniens, de chasser les Péloponnésiens du pays. Telles étaient aussi, en général, les vues de Tissaphernès, autant qu'on peut en juger par les événements. Les conseils d'Alcibiade lui paraissaient excellents et il lui accordait sa confiance. Aussi subvint-il chichement à la solde des Péloponnésiens et refusa-t-il de les laisser combattre sur mer. En prétendant que la flotte phénicienne allait arriver et qu'on aurait alors une supériorité manifeste, il compromit leurs affaires, affaiblit le mordant de leur marine devenue alors très puissante. En tout, il montra une mauvaise volonté évidente à les aider dans la conduite de la guerre ».

Cela se traduit par les nombreuses paix, sinon interventions, du Grand Roi successives pour donner un cap, sinon une direction, aux différents rapports de forces entre les cités grecques. La première, datant de 387, appelé paix d’Antalcidas, refuse à Athènes une grande partie de son empire qui retombe sous l’orbite Achéménides. Elle sert à limiter la puissance Athénienne. 387 demeurera, par la suite, toujours une référence sinon un cadre dans lequel les cités s’engouffrent et projettent leur ambitions. En 378, Athènes avalise la Paix du Grand Roi dans la construction de la ligue. Cette paix fut réaffirmée à deux reprises, d’abord en 375 puis 371. Xénophon, dans Les Helléniques, (VI, 4, 9)   rapporte que les athéniens ne manquent pas de faire référence à la paix de 386 pour contrer les lacédémoniens. Pierre Briant rapporte ainsi que : « Artaxerxès II était devenu l’arbitre des Grecs » . La puissance d’Empire était devenu un moyen à brandir pour contrer la puissance voisine. Ainsi, il était devenu pour tous, dans la conscience des rapports de forces, un arbitre auquel on se réfère en cas de litige.

La puissance de l’or Perse : les dariques d’or

«  Tiribaze jugeait bien qu'il y avait danger pour lui à s'allier avec les Lacédémoniens sans l'assentiment du roi. Il n'en donna pas moins de l'argent en cachette à Antalcidas, afin que les Lacédémoniens pussent équiper une flotte et que les Athéniens et leurs alliés fussent plus empressés de faire la paix. En même temps, comme les Lacédémoniens accusaient Conon de trahir le roi, il crut à leur sincérité et le fit mettre en prison. Cela fait, il se rendit chez le roi, pour lui soumettre les propositions des Lacédémoniens et l'avertir qu'il avait arrêté Conon comme traître et pour lui demander ce qu'il fallait faire sur toutes ces questions. »

Xénophon, Helléniques, IV, 8, 16

Alexandra Gondonneau  décrit la puissance de l’or perse dans le monde antique. Cette puissance monétaire va commencer à jouer un rôle majeur à la fin de la guerre du Péloponnèse ; moment instable et propice à différentes crises hégémoniques. Nous l’avions expliqué, l’émergence du mercenariat est une des cause du manque d’argent dans les cités. Très cher et instable, il se rend au plus offrant, déstabilisant ainsi le cours du jeu et des tendances politiques. Or l’Empire Perse constitue une puissance financière énorme. Il existe une disproportion énorme avec les cités grecques. On commence à parler alors de l’or du Grand-Roi, à savoir les monnaies d’argent et d’or que Darius instaure, car celle-ci instaure petit à petit un ordre dans les relations internationales.

Un premier exemple est détaillé par Xénophon dans les Helléniques (III, 5, 1) : « cependant Tithrausthès, d'après ses informations, avait l'impression qu'Agésilas se moquait des affaires du Roi et ne pensait en aucune façon à quitter l'Asie, mais qu'il avait au contraire le ferme espoir d'y détruire la puissance royale ; ne sachant se tirer d'affaire, il envoie Timocratès de Rhodes en Grèce avec une somme d'environ cinquante talents d'argent, et lui donne mission d'essayer de les distribuer, après avoir reçu les garanties les plus sûres, aux principaux hommes politiques des cités, à condition qu'ils aillent faire la guerre à Sparte. Timocratès, arrivé en Grèce, achète à Thèbes, Androcleidas, Isménias et Galaxidoros ; à Corinthe Timolaos et Polyanthès ; à Argos, Cylon et les gens de son parti. » Un second exemple provient également de Xénophon dans les Helléniques (IV, 8, 9) :  « mais Conon lui dit que, si Pharnabaze lui laissait le commandement de la flotte, il saurait la ravitailler en tirant ses ressources de l'Archipel et que, d'autre part, il irait débarquer dans sa patrie pour aider les Athéniens à relever les Longs Murs et les fortifications du Pirée : il ne savait rien, dit-il, qui serait plus pénible aux Lacédémoniens ; " et alors, ce faisant, c'est toi qui obtiendras la reconnaissance des Athéniens, et aussi le châtiment des Lacédémoniens : car ce qui a été l'objet principal de leurs efforts sera, grâce à toi, annulé." Pharnabaze, après avoir entendu ces propos, l'envoya de bon coeur à Athènes et lui donna par-dessus le marché de l'argent pour relever les murs ». La politique d’équilibre orchestrée par le Grand Roi, et détaillée dans le chapitre intitulé : « La politique d’Alcibiade en oeuvre », passe par un des moyens économiques concrets.

Ainsi, l’Empire perse va utiliser cette puissance financière en fonction de son intérêt. Cela commence pendant la guerre du Péloponnèse lors que le Grand Roi soutient Sparte face à Athènes mais également après la fin de la guerre du Péloponnèse lorsque que les spartiates se développent trop et deviennent alors une menace potentielle pour l’Empire. L’Empire va alors soutenir les ennemis de Sparte dans la guerre de Corinthe. Enfin le Grand Roi va opérer de nouveau un retournement et soutenir Sparte financièrement. Il s’agit d’une politique d’équilibre, ou les dariques d’or sont maitre. L’or du Grand Roi va lui permettre de devenir le maître du jeu dans relations entre poleis grecques.

Conclusion :

Il apparait donc au regard de ce propos que la menace Perse a été un élément caractérisant de l’unité grecque. La rencontre entre les peuples des deux rives s’est faite naturellement. Pour ainsi dire, ces deux peuples trouvent à la croisée de leur chemin une terre convoitée, la côte d’Asie mineur, ainsi que des héritages historiques qui les fait se croiser. L’Empire perse, tout d’abord, se trouve être le résultat de nombreuses constructions politiques internationales. Il va sans dire que son ADN en est marquée au fer rouge et que sa dynamique ne peut que tendre vers une expansion territoriale. A contrario de cette logique, le monde grec apparait plutôt bien installé dans son territoire et peu enclin à une expansion territoriale. Cette rencontre peu commune va susciter chez les Grecs une admiration pour ce qui apparait comme nouveau à l’époque : un Empire d’une taille incommensurable. Les modes opératoires de réflexion et d’interprétation se tournent vers la religion, garante des explications du monde. Si certains grecs vont tenter, dans cette relation dangereuse, de chercher un intérêt individuel, et s’appuyer ainsi sur l’écrasante puissance de l’Empire, ils vont le faire au détriment du corpus idéologique qui les a vu naître. En effet, très rapidement le conflit semble inévitable. La raison de ce conflit touche à une différence fondamentale dans les perceptions des peuples qu’ils ont d’eux mêmes. En d’autres mots, l’héritage relatif aux valeurs qui a pétrit l’homme grec se trouve en opposition avec la politique du Grand Roi. Celui-ci propose aux Grecs un mode opératoire qui leur est alors étranger, celui d’exister les mains liées. En venant quémander la terre et l’eau, le Grand Roi confisque tout simplement la souveraineté que les Grecs ont élaborés après une  longue phase politique arrivée à maturation. La relation de petits calculs politiques s’étiole au profit d’un conflit plus que probable. Il n’en demeure pas moins que ce conflit potentiel, sinon le résultat d’un Empire menaçant l’héritage des grecs, reste une forme de socialisation. Et c’est bien de cette forme de socialisation brutale dont il est question. Loin d’être négative, elle permet d’induire un certain nombre de changement rendu impossible sans sa présence. Eschyle traduit l’aspect positif de ce conflit. En ce sens que la téléologie de sa pensée est qu’il est, avant d’être un homme de lettre, l’homme qui a participé aux Guerres Médiques. Ces guerres sont fondamentales. D’une part, elles modifient profondément les rapports de forces au sein de la cité, notamment à Athènes ou le corps civique est entièrement agrégé à cité. La cité atteint une nouvelle phase de maturité, l’unité des citoyens devant la guerre est atteinte en effaçant ainsi le monopole de l’aristocratie terrienne. D’autre part, et de manière plus générale à la Grèce, ces guerres témoignent d’une appropriation réelle de l’histoire par ses acteurs. En ce sens, qu’ils ne se justifient dorénavant plus uniquement par le passé mais également par l’oeuvre qu’ils viennent d’accomplir. Les cités grecques sont victorieuses. On ne parle plus que des Grecs comme élément politiques, sinon comme une unité qui résulte des Guerres Médiques. Quelque chose de commun en somme. La génération d’Eschyle devient un témoin pour les générations futures. Les nouvelles généalogies sont en place. Les Guerres Médiques représentent le travail collectif de toutes les cités grecques face à l’envahisseur achéménide. Il est le trait d’union manquant. Celui là même qui faisait défaut auparavant dans l’unité panhellénique. Partout on célèbre la gloire de ces hommes nouveaux, sinon de ces héros qui par leur bravoure ont vaincu les forces infinies de l’Empire. La terre porte à jamais les stigmates mais aussi la gloire de ces hommes. Différentes politiques, sinon lieux de mémoires, sont édifiées. Il s’agit ici d’une nouvelle assise, sinon d’une nouvelle posture. Cependant, à mesure que le conflit disparait, l’unité nouvellement construite s’étiole au profit d’un conflit d’hégémon entre Spartes et Athènes. Il faut hiérarchiser, sinon organiser, l’unité grecque. Ainsi, elle se segmente peu à peu. La littérature publique, sinon l’élégie, de ces guerres trouve pour moteur la désignation de la cité la plus victorieuse. Le commandement de Spartes était-il suffisant pour décerner des honneurs à une cité qui ne se soucie que son territoire le plus proche ? La littérature est abondante. Il faut désigner la cité à qui toutes les autres cités doivent tout. Celle qui sera l’élément de protection, sinon la garantie contre les forces menaçantes de l’Empire. Peu à peu le corps civique se déchire aussi, notamment à Athènes, ou les conflits entre les partisans du conflit terrien et maritime font rages. Salamine aurait-il été possible sans Marathon ? Ainsi l’opposition face à l’Empire qui a vu naitre l’unité grecque disparait dans les faits, malgré une littérature abondante à son sujet, pour tendre vers une nouvelle fracture au sein même des cités. L’unité grecque s’étiole alors même que la politique des conquêtes de l’Empire semble modifiée. L’ADN de l’Empire qui voyait son paradis sans cesse alimenté de l’eau et de la terre de tous les peuples s’enraye. Il faut donc tâcher de reconstruire une menace voire même artificiellement pour donner du sens à cette Ligue de défense nouvellement créée. Par leur victoire les Grecs ont modifié le rapport de force sur la scène internationale. Ils ont imposé un équilibre basé sur une diplomatie nouvelle. Malgré cela, l’unité de la Ligue se grippe. Les raisons de sa création se trouvent de plus en plus lointaine. Les Alliés décident peu à peu de se séparer de cette création politique qui faisait figure d’unité face à l’Empire. Il y a là un élément de réponse fondamental que l’on retrouvera par la suite. L’unité grecque est tributaire de la menace Perse. En ce sens que si elle s’est construite grâce à celui-ci, sa longévité dépend de la pérennité de la menace. Le conflit est en quelque sorte l’arbitre qui vient orchestré l’unité. A mesure que le conflit perd de sa vigueur, l’unité s’étiole et n’a de cesse de vouloir le recréer, en renforçant notamment sa politique offensive à l’instar du phoros. Le Ve siècle se termine par une guerre fratricide qui vient parachever la fin de cette unité grecque. Celle-ci se succède par une hégémonie Spartiate qui devient garante de l’unité grecque. Spartes devient le gendarme de la Grèce. Un Gendarme, cependant particulier, qui trouve son financement directement chez le Grand Roi. Alors même que l’unité recherchée était directement tournée contre l’Empire. Cette ingérence dans la politique grecque, sinon appelée la politique d’Alcibiade, tourne définitivement la page de l’unité. La Paix de 386 entérine la légitimité de l’Empire, les velléités se figent. Les Grecs abandonnent une partie des cités d’Asie Mineur qui était pourtant l’un des éléments déclencheurs de leur opposition aux Perses lors des Guerres Médiques. Les conflits grecs se réfèrent à un nouvel arbitre, le Grand Roi, qui lègue un cadre à ne pas dépasser. Athènes tentera bel et bien de se lancer dans une nouvelle opposition à l’Empire, et ce malgré après avoir reçu des fonds perses pour reconstruire ses murs. L’unité réelle et le rejet des Perses ne sont que plus que des questions relevant du passé : la politique d’Alcibiade mène la danse et l’or du Grand Roi là renforce. La logique des blocs qui opposait les Grecs à l’Empire, sinon certaines cités, se trouvent remplacées par un phénomène nouveau : le mercenariat. Il traduit l’instabilité des cités. Par son caractère changeant, il introduit un nouveau schéma flexible de relations, d’hommes à hommes qui offrent leurs services au plus offrants. L’argent règne et les valeurs se dissolvent peu à peu… L’unité n’apparait plus que comme un vieux souvenir auquel on se réfère pour tenter l’impossible dans un cadre international ou le Grand Roi règle et calibre tout. Alcibiade avait prévenu : laisser faire et entretenir les conflits pour maintenir un équilibre artificiel.

La menace Perse, sinon les conséquences politiques du conflit, dans les Relations Internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C a favorisé la création d’une unité commune au monde grec, sinon la création d’une identité partagée par tous et incarnée par les hommes des Guerres Médiques. Cette menace bouleverse les consciences. Cette identité commune tombe cependant en désuétude à mesure que la menace Perse perd de l’ampleur. L’identité commune, alors franchement acquise, cède sa place à un conflit d’hégémon entre les cités. Ainsi l’identité commune, résultat du conflit, semble tributaire des raisons de son édification.

Si l’Empire Perse semble avoir triomphé du monde Antique, il apparait cependant quelques interrogations qu’Isocrate a parfaitement saisit. Car les Guerres Médiques ont marqués un précédent dans la relation que les Grecs ont avec l’Empire. L’héritage, sinon la bonification réelle des Guerres Médiques est le principe d’unité qui en a découlé. Unité nouvelle dans un monde auparavant frappé par l’éparpillement et déchirement permanent : « et il n’y aura jamais de concert entre les Grecs, à moins qu’unis d’intérêts, ils ne marchent contre l’ennemi commun dont la haine les aura réconciliés ». Le rêve sinon l’idéal de défendre un monde grec unit face à l’agresseur perse est maintenant inscrit dans l’histoire politique. Il s’agit d’un topos. Ce rêve, sinon ce destin commun, ne peut se comprendre sans l’identité perse. Elle est là condition de l’unité. Par conséquent, ce destin commun, s’il veut assurer sa pérennité, ne passera que par la conquête de l’Empire.

Alexandre l’avait très bien comprit. C’est pour cela, qu’il a inscrit sa politique de conquête dans l’héritage du destin grec. Cette politique s’est appuyée sinon alimenté de l’esprit de revanche dans le but de d’embraser les mentalités collectives, sinon l’énergie grecques toutes entières.


La menace Perse dans les relations internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C : les conséquences politiques du conflit - Louis du Pré
La menace Perse dans les relations internationales grecques aux Ve et IVe siècles avant J-C : les conséquences politiques du conflit - Louis du Pré

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Notes de bas de page

1 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 7

2 R. T. Hallock, Persepolis Fortification Tablets, The University of Chicago Press, Chicago, 1969

G. Cameron, Persepolis Treasury Tablets, The University of Chicago Press, Chicago, 1948

3 R. T. Hallock, The evidence of the Persepolis Tablets, The University of Chicago Press, Chicago, 1971

4 Raymond Bogaert, Les origines antiques de la banque de dépôt, A. W. Sijthoff, 1966

5 P. Grelot, Documents araméens d’Egypte, Les Editions du Cerf, Paris, 1972

6 Josette Elayi, Histoire de la Phénicie, Perrin, 2018

7 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 13

« Le plus souvent, nous ne disposeront que du point de vue grec »

8  Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, II, 32, 4

« parchemins royaux, dans lesquels, selon certaine coutume, les Perses consignaient les faits du passé »

9 Lucien de Samosate, Œuvres complètes, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2015, p. 466, 896

10 Vie d’Artaxerxès, I, 4

« rempli ses livres d'un ramassis disparate de mythes incroyables et extravagants »

11 L. Bély, La société des princes: XVIe-XVIIIe siècle, Fayard, Paris, 1999

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13 Marc Van De Mieroop “The Club of the Great Powers” Pp. 137 in A History of the Ancient Near East, Third Edition, Wiley Blackwell, Chichester.

14 Cohen R. 2000 “Conclusions, The Beginning of International Relations” Pp. 225-236 in Amarna Diplomacy: The Beginnings of International Relations, R. Westbrook R. and R. Cohen (eds.), Baltimore.

15 « Cela fait, il partagea ses États en vingt gouvernements, que les Perses appellent satrapies, et dans chacune il établit un gouverneur. Il régla le tribut que chaque nation devait lui payer, et, à cet effet, il joignait à une nation les peuples limitrophes ; et quelquefois, passant par-dessus ceux qui étaient voisins, il mettait dans un même département des peuples éloignés l'un de l’autre. »

16  Xénophon, Cyropédie 8.2.10-12, 6.16

17 Pierre Briant, L’Histoire de l’Empire perse, Fayard, Millau, 2015, p.75

18 « Voici comment il distribua les satrapies, et régla les tributs que chacune lui devait rendre tous les ans. »

19 Pierre Briant, L’Histoire de l’Empire perse, Fayard, Millau, 2015, p.88

20 Pierre Briant, L’Histoire de l’Empire perse, Fayard, Millau, 2015, p.88

21 Pierre Briant, L’Histoire de l’Empire perse, Fayard, Millau, 2015, p.88

22 Francois Lefevre, Histoire du monde grec antique, Poche, Malesherbes, 2013 p. 35

« A l’image des Anciens, qui considéraient que la connaissance des temps n’allait pas sans celle des lieux, parcourons rapidement le pays grec »

23 « Presque tous les noms des dieux sont venus d'Égypte en Grèce. Il est très certain qu'ils nous viennent des Barbares : je m'en suis convaincu par mes recherches. Je crois donc que nous les tenons principalement des Égyptiens. En effet, si vous exceptez Neptune, les Dioscures, comme je l'ai dit ci-dessus, Junon, Vesta, Thémis, les Grâces et les Néréides, les noms de tous les autres dieux, ont toujours été connus en Égypte. Je ne fais, à cet égard, que répéter ce que les Égyptiens disent eux-mêmes. Quant aux dieux qu'ils assurent ne pas connaître, je pense que leurs noms viennent des Pélasges ; j'en excepte Neptune, dont ils ont appris le nom des Libyens ; car, dans les premiers temps, le nom de Neptune n'était connu que des Libyens, qui ont toujours pour ce dieu une grande vénération. Quant à ce qui regarde les héros, les Égyptiens ne leur rendent aucun honneur funèbre. »

« Les Égyptiens appellent barbares tous ceux qui ne parlent pas leur langue. »

24 Michel Dubuisson, « Barbares et barbarie dans le monde gréco-romain », L'antiquité classique, no 70, 2001, p. 1-16

25 Paul Cartledge, The Spartans: The World of the Warrior-Heroes of Ancient Greece, Vintage, 2006,  p. 87-88

26 « Le repos dont on jouit ensuite fut très court. Les Ioniens éprouvèrent de nouveaux malheurs, et ils leur vinrent de l'île de Naxos et de la ville de Milet. Naxos était alors la plus riche de toutes les îles, et la ville de Milet était dans le même temps plus florissante qu'elle ne l'avait jamais été ; on la regardait comme l'ornement de l'Ionie. Elle avait beaucoup souffert de ses divisions intestines, les deux générations précédentes ; mais les Pariens y avaient rétabli l'union et la concorde, à la prière des Milésiens, qui les avaient choisis, préférablement à tous les autres Grecs, pour pacifier leurs différends. »

27 J. Lévy, M. Lussault éd., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, 2003, p. 795-798.

28 Coulié Anne, « Histoire et archéologie des Cyclades à travers la céramique archaïque : à propos d'un ouvrage récent », Revue archéologique, 2005/2 (n° 40), p. 255-281.

« Bien qu’il ne corresponde à aucun terme précis de la langue grecque, le concept de réseau est, néanmoins, très adapté à la réflexion sur les flux qui mettent en relation différents territoires du monde grec, dont ils favorisent l’homogénéisation ou la différenciation. »

29 Francois Lefevre, Histoire du monde grec antique, Poche, Malesherbes, 2013 p. 176

30 Werner Jaeger (trad. André et Simonne Devyver), Paideia : La formation de l'homme grec. La Grèce archaïque, le génie d'Athènes, Paris, Gallimard, 1964 p. 209 à 214

31 Platon, La République, Gallimard, 1992, chap. II et III

32 Hérodote, L’Enquête, Gallimard, 2012, I, 153

33 Hérodote, L’Enquête, Gallimard, 2012, I, 153

34 le terme teologia apparait chez Platon, République, II, 379 a. Même si Platon est un auteur résolument plus jeune que le VIe siècle, son utilisation correspond sans doute à une réalité ou du moins à une aspiration plus ancienne.

35 Wartelle André. La pensée théologique d'Eschyle. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°30, décembre 1971. pp. 535-580;

36 M. Denoyelle, Chefs-d’œuvre de la céramique grecque,  Editions de la Réunion des musées nationaux, 1995, p. 120,n° 55.

A. Pasquier, Hommage au dessin, mélanges offerts à Roseline Bacou, 1996, p. 30-39.

Hommes, dieux, héros de la Grèce Antique, Catalogue de l'exposition de Bruxelles, 1982, p. 167-168, n° 99.

37 Collection Durand, 1836 , 1836 G 197

38 "La mer Caspienne est donc bornée à l'ouest par le Caucase, et à l'est par une plaine immense et à perte de vue. Les Massagètes, à qui Cyrus voulait faire la guerre, occupe la plus grande partie de cette plaine spacieuse. Plusieurs considérations importantes engageaient ce prince dans cette guerre, et l'y animaient. La première était sa naissance, qui lui paraissait avoir quelque chose de plus qu'humain ; la seconde, le bonheur qui l'avait toujours accompagné dans ses guerres. Toutes les nations, en effet, contre qui Cyrus tourna ses armes, furent subjuguées; aucune ne put l’éviter. »

39 « Pendant que Crésus était occupé de ces projets, tous les dehors de la ville se remplirent de serpents ; et les chevaux, abandonnant les pâturages, coururent les dévorer. Ce spectacle, dont Crésus fut témoin, parut aux yeux de ce prince un prodige ; et, en effet, c'en était un. Aussitôt il envoya aux devins de Telmesse, pour en avoir l'interprétation. Ses députés l'apprirent, mais ils ne purent pas la lui communiquer ; car, avant leur retour par mer à Sardes, il avait été fait prisonnier. La réponse fut que Crésus devait s'attendre à voir une armée d'étrangers sur ses terres, et qu'elle subjuguerait les naturels du pays, le serpent étant fils de la terre, et le cheval un ennemi et un étranger. Crésus était déjà pris lorsqu'ils firent cette réponse ; mais ils ignoraient alors le sort de Sardes et du roi. »

40 « Harpage lui succéda dans le commandement de l'armée. Il était Mède de nation, aussi bien que Mazarès ; et c'est celui à qui Astyages avait donné un repas abominable, et qui avait aidé Cyrus à s'emparer du trône de Médie. Dès que Cyrus l'eut nommé général, il passa en Ionie ; et, ayant forcé les habitants à se renfermer dans les villes, il s'en rendit ensuite maître par le moyen de cavaliers ou terrasses qu'il fit élever près des murs. Phocée fut la première ville d'Ionie qu'il attaqua de la sorte. »

« vainqueurs des Ioniens (…) les perses (…) et faisant avancer toutes sortes de machines »

41 « qui serait donc capable de tenir tête à ce large flux humain ? Autant vouloir, par de puissantes digues, contenir l’invincible houle des mers ! »

42 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 39

43 Xénophon, Economique, IV, 13-20

« ce n’est pas tout, Critobule : quelque part qu’il séjourne, dans quelque pays qu’il aille, il veille à ce qu’il y ait de ces jardins, appelés paradis, qui sont remplis des plus belles et des meilleures productions que puisse donner la terre ; et il y reste aussi longtemps que dure la saison d’été.  Par Jupiter! dit Critobule, il faut donc, Socrate, que, partout où il séjourne, il veille à ce que les paradis soient parfaitement entretenus, pleins d’arbres et de tout ce que la terre produit de plus beau. On dit encore, Critobule, reprit Socrate, que quand le roi distribue des présents, il commence par appeler les meilleurs guerriers, parce qu’il est inutile de cultiver de grandes terres s’il n’y a pas d’hommes qui les protègent; puis il fait venir ceux qui savent le mieux rendre un terrain fertile, disant que les plus vaillants ne sauraient vivre s’il n’y avait pas de cultivateurs. »

« Oui, Cyrus, dit-il, j’admire toute ces beautés; mais ce que j’admire le plus, c’est celui qui t’a dessiné et ordonné tout cela. » En entendant ces mots, Cyrus fut charmé, et lui dit :. «  Eh bien, Lysandre ! c’est moi qui ai tout dessiné, tout ordonné; il y a même des arbres, ajouta-t-il, que j’ai plantés moi-même. »

44 Briant Pierre. Forces productives, dépendance rurale et idéologies dans l'Empire achéménide. In: Rois, tributs et paysans. Etudes sur les formations tributaires du Moyen-Orient ancien. Besançon : Université de Franche-Comté, 1982. p. 442. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 269)

45 « Après les vertus guerrières, ils regardent comme un grand mérite d'avoir beaucoup d'enfants. Le roi gratifie tous les ans ceux qui en ont le plus. C'est dans le grand nombre qu'ils font consister la force. Ils commencent à cinq ans à les instruire, et depuis cet âge jusqu'à vingt ils ne leur apprennent que trois choses : à monter à cheval, à tirer de l'arc et à dire la vérité. Avant l'âge de cinq ans un enfant ne se présente pas devant son père, il reste entre les mains des femmes. Cela s'observe afin que, s'il meurt dans ce premier âge, sa perte ne cause aucun chagrin au père. »

46 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 50-64

47 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 50

48 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 50

49 « Les Perses sont les hommes les plus curieux des usages étrangers. Ils ont pris en effet l'habillement des Mèdes, s'imaginant qu'il est plus beau que le leur ; et dans la guerre ils se servent de cuirasses à l'égyptienne. Ils se portent avec ardeur aux plaisirs de tous genres dont ils entendent parler, et ils ont emprunté des Grecs l'amour des garçons. Ils épousent chacun plusieurs jeunes vierges, mais ils ont encore un plus grand nombre de concubines. »

50 « Enfin, le huitième jour, comme il se trouvait très mal, quelqu'un qui, pendant son séjour à Sardes, avait entendu dire quelque chose de la profession de Démocèdes de Crotone, lui parla de ce médecin : Darius se le fit amener en diligence. On le trouva confondu parmi les esclaves d'Orétès, comme un homme dont on ne faisait pas grand cas. On le présenta au roi couvert de haillons, et ayant des ceps aux pieds »

51 « Sur cet aveu, le roi se mit entre ses mains. Démocèdes le traita à la manière des Grecs ; et, faisant succéder les remèdes doux et calmants aux remèdes violents, il parvint à lui procurer du sommeil, et en peu de temps il le guérit, quoique ce prince eût perdu toute espérance de pouvoir jamais se servir de son pied. Cette cure achevée, Darius lui fit présent de deux paires de ceps d'or. Démocèdes lui demanda s'il prétendait doubler ainsi son mal, en récompense de sa guérison. »

52 « Voici à quelle occasion Démocèdes avait quitté Crotone, sa patrie, et s'était attaché à Polycrate »

53 « Atosse, guérie par les remèdes de Démocèdes »

54 « La plus grande partie de l'Asie fut découverte par Darius. Ce prince, voulant savoir en quel endroit de la mer se jetait l'Indus, qui, après le Nil, est le seul fleuve dans lequel on trouve des crocodiles, envoya, sur des vaisseaux, des hommes sûrs et véridiques, et entre autres Scylax de Caryande. Ils s'embarquèrent à Caspatyre, dans la Pactyice, descendirent le fleuve à l'est jusqu'à la mer : de là, naviguant vers l'occident, ils arrivèrent enfin, le trentième mois après leur départ, au même port où les Phéniciens, dont j'ai parlé ci-dessus, s'étaient autrefois embarqués par l'ordre du roi d'Égypte pour faire le tour de la Libye. Ce périple achevé, Darius subjugua les Indiens, et se servit de cette mer. C'est ainsi qu'on a reconnu que l'Asie, si l'on en excepte la partie orientale, ressemble en tout à la Libye. »

55 Sophie Bouffier, Les diasporas grecques : du détroit de Gibraltar à l'Indus, SEDES, 2012, p. 250

56 « A peine eut-il dit ces choses, qu'il les exécuta. Dès que le jour commença à paraître, il fit venir quinze Perses des premiers de la nation, leur commanda de suivre Démocèdes, de reconnaître avec lui tous les pays maritimes de la Grèce, et leur enjoignit surtout de prendre garde qu'il ne leur échappât, et de le ramener avec eux, quelque chose qui arrivât. »

57 « Lorsque Darius eut considéré le Pont-Euxin, il revint par mer au pont de bateaux, dont Mandroclès de Samos était l’entrepreneur. »

« Darius, satisfait de ce pont, fit de riches présents à Mandroclès de Samos, qui en était l'entrepreneur. Mandroclès employa les prémices de ces présents à faire faire un tableau qui représentait le pont du Bosphore, avec le roi Darius assis sur son trône et regardant défiler ses troupes. Il fit une offrande de ce tableau au temple de Junon, et y ajouta une inscription en ces termes : « Mandroclès a consacré à Junon ce monument en reconnaissance de ce qu'il a réussi, au gré du roi Darius, à jeter un pont sur le Bosphore. Il s'est, par cette entreprise, couvert de gloire, et a rendu immortel le nom de Samos sa patrie. »Tel est le monument qu'a laissé celui qui a présidé à la construction de ce pont. »

58 Jean-Baptiste Duroselle,  Tout Empire périra. Une Vision théorique des relations internationales,  Publications de la Sorbonne, Paris, 1981

59 Moses Finley, Économie et société en Grèce antique, La Découverte, 2007

60 Jean Tulard, Les Empires occidentaux de Rome à Berlin, PUF, 1997

61 Mossé Claude, « Périclès et l'impérialisme athénien de Thucydide à l'historiographie contemporaine », Dialogues d'histoire ancienne, 2011/Supplement5 (S5), p. 49-55.

62 « La puissance va bien au-delà du militaire, du juridique, de l’exécutif, de l'administration. Par des hiérarchies compliquées, qui se recoupent, et qui font que le pouvoir suprême se diffuse et se dilue en une multitude de sous-pouvoirs, l'économique, la culture, les valeurs, participent largement à la volonté qu'ont beaucoup d'hommes de dominer d'autres hommes. Et par un mouvement simultané de sens inverse, c'est de la masse, des communautés, et finalement des additions innombrables de petits groupes que surgit le pouvoir. Les uns cherchent le consensus, l'obtiennent pour un temps, et croient leur domination assurée. Les autres entreprennent la destruction du consensus, affaiblissent le pouvoir existant, un jour finissent par le détruire. »

63 « il avait réduit les Mèdes en servitude. En effet, s'il était absolument nécessaire de donner la couronne à un autre, et s'il ne voulait pas la garder pour lui-même, il aurait été plus juste de la mettre sur la tête d'un Mède que sur celle d'un Perse ; qu'enfin il avait donné des fers à sa patrie, quoiqu'elle ne fût point coupable; et qu'il avait rendu les Perses maîtres des Mèdes, eux qui en avaient été les esclaves. »

« Astyages perdit ainsi la couronne, après un règne de trente-cinq ans. Les Mèdes, qui avaient possédé cent vingt-huit ans l'empire de la haute Asie, jusqu'au fleuve Halys, sans cependant y comprendre le temps qu'y régnèrent les Scythes, passèrent sous le joug des Perses à cause de l'inhumanité de ce prince. Il est vrai que, s'en étant repentis par la suite, ils le secouèrent sous Darius (60) ; mais, ayant été vaincus dans un combat, ils furent de nouveau subjugués. Cyrus et les Perses, s'étant alors soulevés contre les Mèdes sous le règne d'Astyages, furent dès lors maîtres de l'Asie. Quant à Astyages, Cyrus le retint près de lui jusqu'à sa mort, et ne lui fit point d'autre mal. Telles furent la naissance de Cyrus, son éducation, et la manière dont il monta sur le trône. Il battit dans la suite Crésus, qui lui avait fait le premier une guerre injuste, comme je l'ai déjà dit, et par la défaite de ce prince il devint maître de toute l’Asie »

64 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 43

65 « Crésus, n'ayant pas saisi le sens de l'oracle, se disposait à marcher en Cappadoce, dans l'espérance de renverser la puissance de Cyrus et des Perses. »

66 « Ils prédirent l'un et l'autre à ce prince que, s'il entreprenait la guerre contre les Perses, il détruirait un grand empire, et lui conseillèrent de rechercher l'amitié des États de la Grèce qu'il aurait reconnus pour les plus puissants »

67 « Les Lydiens n'eurent pas plutôt été subjugués par les Perses, que les Ioniens et les Éoliens envoyèrent à Sardes des ambassadeurs à Cyrus, pour le prier de les recevoir au nombre de ses sujets aux mêmes conditions qu'ils l'avaient été de Crésus. »

68 « Pendant qu'Harpage ravageait l'Asie mineure, Cyrus subjuguait en personne toutes les nations de l'Asie supérieure, sans en omettre aucune. Je les passerai la plupart sous silence, me contentant de parler de celles qui lui donnèrent le plus de peine, et qui méritent le plus de trouver place dans l'histoire. Lorsque ce prince eut réduit sous sa puissance tout le continent, il songea à attaquer les Assyriens »

69 « Ce fut donc contre ce prince que marcha Cambyse, fils de Cyrus, avec une armée composée des peuples soumis à son obéissance, entre autres des Ioniens et des Éoliens. Voici quel fut le sujet de cette guerre. Cambyse avait fait demander par un ambassadeur la fille d’Amasis. »

70 « Il monta sur une hauteur fort élevée, et ayant enfoncée son sceptre en terre, il mit dessus sa robe royale, sa tiare et le diadème royal. C’était au lever du soleil. Il pria le dieu Apollon de sauver les Perses et sur envoyer de l’eau du ciel. Le dieu l’entendit et il tomba une pluie abondante »

71 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 82

72 « Ce fut contre le fils de cette reine que Cyrus fit marcher ses troupes. Il était roi d'Assyrie, et s'appelait Labynète, de même que son père. Le grand roi ne se met point en campagne qu'il n'ait avec lui beaucoup de vivres et de bétail, qu'il tire de son pays. On porte aussi à sa suite de l'eau du Choaspes, fleuve qui passe à Suses. Le roi n'en boit pas d'autre. On la renferme dans des vases d'argent, après l'avoir fait bouillir, et on la transporte à la suite de ce prince sur des chariots à quatre roues traînés par des mulets. »

73 « Les Lyciens allèrent au-devant d'Harpage, dès qu'il parut avec son armée dans les plaines de Xanthus. Quoiqu'ils ne fussent qu'une poignée de monde en comparaison des ennemis, ils se battirent, et firent des prodiges de valeur. Mais ayant perdu la bataille, et se voyant forcés de se renfermer dans leurs murs, ils portèrent dans la citadelle leurs richesses ; et, y ayant rassemblé leurs femmes, leurs enfants et leurs esclaves, ils y mirent le feu, et la réduisirent en cendres avec tout ce qui était dedans. S'étant, après cette action, réciproquement engagés par les serments les plus terribles, ils firent secrètement une sortie contre les Perses, et périrent tous en combattant généreusement. Ainsi la plupart des Lyciens d'aujourd'hui, qui se disent Xanthiens, sont étrangers, si l'on en excepte quatre-vingts familles qui, étant alors éloignées de leur patrie, échappèrent à la ruine commune. Ainsi fut prise la ville de Xanthos. Harpage s'empara de celle de Caune à peu près de la même manière ; car les Cauniens suivirent en grande partie l'exemple des Lyciens. »

74 Geffroy Annie. Georg Simmel, Le conflit. In: Mots, n°37, décembre 1993. Rhétoriques du journalisme politique, sous la direction de Josette Lefèvre et Erik Neveu. pp. 129-131.

75 Georg Simmel, Le conflit, Circé, 2015 p. 111

76 « Si, dans la seule vue d'étendre notre empire, nous avons soumis les Saces, les Indiens, les Éthiopiens, les Assyriens, et plusieurs autres nations puissantes et nombreuses, qui n'avaient commis contre nous aucune hostilité, ne serait-il pas honteux que nous laissassions impunie l'insolence des Grecs, qui ont été les premiers à nous insulter? Qu'avons-nous à craindre? serait-ce la multitude de leurs troupes, la grandeur de leurs richesses? Nous n'ignorons ni leur manière de combattre ni leur faiblesse; nous avons subjugué ceux de leurs enfants qui habitent notre pays, et qui sont connus sous les noms d'Ioniens, d'Éoliens et de Doriens. Je connais par moi-même les forces des Grecs; j'en fis l'épreuve lorsque je marchai contre eux par ordre du roi, votre père. Je pénétrai en Macédoine; peu s'en fallut même que je n'allasse jusqu'à Athènes, et cependant personne ne vint me combattre. »

77 « les Érétriens n’avaient pas pris de saine résolution… Ils étaient divisés d’opinion ; les uns pensaient à fuir la ville pour les montagnes de l’Eubée ; d’autres, dans l’espoir de recevoir des Perses des avantages personnels, se présentaient à trahir »

78 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 98

79 « Darius ayant déclaré Xerxès son successeur, et voyant que tout était prêt, se disposa à se mettre en marche. Mais il mourut l'année qui suivit la révolte de l'Égypte, après avoir régné trente-six ans entiers (04), et sans avoir eu la satisfaction de punir la révolte des Égyptiens et de se venger des Athéniens. »

80 « Les Perses ayant levé l'ancre, les vents les écartèrent de leur route, et les poussèrent en Iapygie, où on les fit prisonniers. Mais Gillus, banni de Tarente, les délivra, et les ramena à Darius. La reconnaissance avait disposé ce prince à lui accorder toutes ses demandes. Gillus lui raconta sa disgrâce, et le pria de le faire rétablir à Tarente. Mais, pour ne pas jeter l'épouvante et le trouble dans la Grèce, comme cela n'aurait pas manqué d'arriver si l'on eût envoyé à cause de lui une flotte considérable en Italie, il dit que les Cnidiens suffiraient seuls pour le rétablir dans sa patrie, et qu'étant amis des Tarentins, il était persuadé qu'à leur sollicitation on ne ferait nulle difficulté de lui accorder son rappel. Darius le lui promit ; et, sans différer plus longtemps, il envoya un exprès à Cnide, avec ordre aux Cnidiens de ramener Gillus à Tarente. Les Cnidiens obéirent ; mais ils ne purent rien obtenir des Tarentins, et ils n'étaient point assez puissants pour employer la force. C'est ainsi que les choses se passèrent. Ces Perses sont les premiers qui soient vernis d'Asie en Grèce pour reconnaître le pays »

81 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 151-152

82 « Quand les Perses eurent pris tous les habitants de Samos comme dans un filet, ils remirent la ville à Syloson, mais déserte et sans aucun habitant. Quelque temps après, Otanes repeupla cette île, à l'occasion d'une vision qu'il eut en songe, et d'un mal dont il se sentit attaqué aux parties de la génération »

83 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 98

84 « Les Athéniens, ayant ensuite rappelé Clisthène et les sept cents familles bannies par Cléomène, envoyèrent à Sardes des ambassadeurs pour faire alliance avec les Perses. Ils étaient, en effet, persuadés qu'ils auraient une guerre à soutenir coutre Cléomène et les Lacédémoniens. Ces ambassadeurs ayant à leur arrivée exposé les ordres dont ils étaient chargés, Artapherne, fils d'Hystaspes, gouverneur de Sardes, leur demanda quelle sorte d'hommes ils étaient, et dans quel endroit de la terre ils habitaient, pour prier les Perses de s'allier avec eux. Les envoyés ayant satisfait à ses questions, il leur dit en peu de mots « Si les Athéniens veulent donner au roi Darius la terre et l'eau il fera alliance avec eux ; sinon, qu'ils se retirent, » Comme les envoyés désiraient fort cette alliance, ils répondirent, après en avoir délibéré entre eux, qu'ils y consentaient ; mais, à leur retour à Athènes, on leur intenta à ce sujet une accusation très grave. »

85 « Démarate, ayant appris ce qu'il voulait savoir, se munit de provisions pour un voyage, et partit pour l'Élide, sous prétexte d'aller consulter l'oracle de Delphes. Sur un soupçon qu'il avait dessein de prendre la fuite, les Lacédémoniens le poursuivirent; mais il les prévint, et passa d'Élide dans l'île de Zacynthe. Les Lacédémoniens y passèrent après lui, enlevèrent ses esclaves, et voulurent se saisir de sa personne; mais, les Zacynthiens n'ayant pas voulu le leur livrer, il se retira en Asie auprès du roi Darius. Ce prince le reçut magnifiquement, et lui donna des terres et des villes. Ce fut ainsi que Démarate se retira en Asie, après avoir éprouvé un tel sort. Il s'était souvent distingué parmi ses concitoyens par ses actions et par sa prudence, et surtout par le prix de la course du char à quatre chevaux, qu'il remporta aux jeux olympiques, honneur qu'il ne partagea avec aucun autre roi de Sparte. »

86 Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, Poche, 2000

87 Jean-Baptiste Duroselle,  Tout Empire périra. Une Vision théorique des relations internationales,  Publications de la Sorbonne, Paris, 1981

88 Raymond Aron, « Thucydide et le récit des événements », H&T, 1961, p. 112.

89 Werner Jaeger (trad. André et Simonne Devyver), Paideia : La formation de l'homme grec. La Grèce archaïque, le génie d'Athènes, Paris, Gallimard, 1964

90 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, 1962 (1984) p. 145

91 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 223

92 « Darius sonda ensuite les Grecs, afin de savoir s'ils avaient intention de lui fa ire la guerre, ou de se soumettre. Il envoya donc des hérauts de côté et d'autre en Grèce, avec ordre de demander en son nom la terre et l’eau. »

93 L'Homme Wéry Louise-Marie. Le meurtre des hérauts de Darius en 491 et l'inviolabilité du héraut. In: L'antiquité classique, Tome 35, fasc. 2, 1966. pp. 468-486;

94 « Les peuples qui lui avaient fait leurs soumissions étaient tes Thessaliens, les Dolopes, les Aenianes, les Perrhaebes, les Locriens, les Magnètes, les Méliens, les Achéens de la Phthiotide, les Thébains et le reste des Béotiens, excepté les Thespiens et les Platéens. »

95 « Que tous ceux qui, étant Grecs, se sont donnés aux Perses, sans y être forcés par la nécessité, payent au dieu de Delphes, après le rétablissement des affaires, la dixième partie de leurs biens. »

96 « Xerxès ne dépêcha point de hérauts à Athènes et à Sparte pour exiger la soumission de ces villes. Darius leur en avait envoyé précédemment pour ce même sujet; mais les Athéniens les avaient jetés dans le Barathre, et les Lacédémoniens dans un puits, où ils leur dirent de prendre de la terre et de l'eau, et de les porter à leur roi. »

97 « Pour nous, parmi d'autres très belles lois que nous avons, la plus belle est celle qui ordonne de révérer le roi et de faire la proskynèse devant lui comme devant l'image du dieu (Eikôn Theou) qui gouverne le monde. Si donc approuvant nos usages, tu consens à te prosterner, tu pourras le voir et lui parler ; mais si tu n'es pas d'accord là-dessus, tu devras avoir recours à d'autres comme intermédiaires, pour communiquer avec lui, car l'usage traditionnel n'admet pas que le roi donne audience à un homme qui refuse de se prosterner »

98 « Ayant été admis, à leur arrivée à Suses, à l'audience du roi, les gardes leur ordonnèrent de se prosterner et de l'adorer, et même ils leur firent violence. Mais ils protestèrent qu'ils n'en feraient rien, quand même on les pousserait par force contre terre; qu'ils n'étaient point dans l'usage d'adorer un homme, et qu'ils n'étaient pas venus dans ce dessein à la cour de Perse. Après s'être défendus de la sorte, ils adressèrent la parole à Xerxès en ces termes et autres semblables : « Roi des Mèdes, les Lacédémoniens nous ont envoyés pour expier par notre mort celle des hérauts qui ont péri à Sparte. » Xerxès, faisant à ce discours éclater sa grandeur d'âme, répondit qu'il ne ressemblerait point aux Lacédémoniens, qui avaient violé le droit des gens en. mettant à mort des hérauts; qu'il ne ferait point ce qu'il leur reprochait; qu'en faisant mourir à son tour leurs hérauts, ce serait les justifier. »

99 Luccioni Jean. Platon et la mer. In: Revue des Études Anciennes. Tome 61, 1959, n°1-2. pp. 15-47.

100 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 226

101 « Darius Ier était le plus beau des hommes, mis à part la longueur de ses bras et de ses avant-bras qui touchaient même ses genoux »

102 « au milieu de tous les hommes, il y en avait aucun qui, par sa beauté et sa taille, fût plus digne que Xerxès lui-même de posséder cette puissance. »

103 Briant Pierre. Histoire et idéologie. Les Grecs et la "décadence perse". In: Mélanges Pierre Lévêque. Tome 2 : Anthropologie et société. Besançon : Université de Franche-Comté, 1989. pp. 33-47. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 377)

104 Peter Green, Les Guerres Médiques, Tallandier, 2012

105 Francois Lefèvre, Histoire du monde grec antique, Malesherbes, Poche, 2013 p. 176-192

106 « Ce même Phidippides, que les généraux athéniens avaient envoyé à Sparte, et qui raconta, à son retour, que Pan lui était apparu, arriva en cette ville le lendemain de son départ d'Athènes (47). Aussitôt il se présenta devant les magistrats, et leur dit : « Lacédémoniens, les Athéniens vous prient de leur donner du secours, et de ne pas permettre qu'une des plus anciennes villes de Grèce soit réduite en esclavage par des barbares. Érétrie a déjà subi leur joug, et la Grèce se trouve affaiblie par la perte de cette ville célèbre. » Là-dessus, les Lacédémoniens résolurent de donner du secours aux Athéniens; mais il leur était impossible de le faire partir sur-le-champ, parce qu'ils ne voulaient point enfreindre la loi qui leur défendait de se mettre en marche avant la pleine lune; et l'on n'était alors qu'au 9 du mois »

107 « Deux mille Lacédémoniens arrivèrent à Athènes après la pleine lune. Ils avaient une si grande ardeur de joindre les ennemis, qu'ils ne mirent que trois jours pour venir de Sparte dans l'Attique. Quoiqu'ils fussent arrivés après le combat, ils avaient un tel désir de voir les Mèdes, qu'ils se transportèrent à Marathon pour les contempler. Ils complimentèrent ensuite les Athéniens sur leur victoire, et s'en retournèrent dans leur pays. »

108 Ctésias, Persica, F13, 27.

109 VII, 60-89.

110 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 544

111 Victor Davis Hanson, Carnage et Culture: Les grandes batailles qui ont fait l'Occident, Flammarion, 2002.

112 Plutarque, La vie des hommes illustres, IIIe tome : Vie de Thémistocle

113 Édouard Will, Le Monde grec et l'Orient, Le Ve siècle (510-403), PUF, 1972, p. 92

114 « Les Athéniens regardaient la défaite des barbares à Marathon comme la fin de la guerre ; mais ce n’était là, aux yeux de Thémistocle, qu’un prélude de plus grands combats ; et ces combats, qu’il prévoyait de si loin dans l’avenir, il s’y préparait sans cesse, pour assurer le salut de tous les Grecs, et il y préparait Athènes par tous les moyens. »

115 « Sa première démarche fut d’oser, seul, proposer aux Athéniens d’affecter le produit des mines d’argent de Laurium  (12), dont ils étaient dans l’usage de se partager les revenus, à la construction d’une flotte de trirèmes, pour le guerre contre Égine (13). C’était alors la grande affaire de la Grèce ; et les Éginètes couvraient toute la mer de leurs vaisseaux. Ce fut là le motif que Thémistocle fit valoir pour atteindre son but, et non pas la crainte de Darius et des Perses, alors trop éloignés, et dont on appréhendait peu le retour. Et, pour engager les Athéniens à faire ces préparatifs, il sut réveiller à propos leur jalousie et leur ressentiment contre les Éginètes. On construisit, avec l’argent des mines, cent trirèmes, qui combattirent aussi contre Xerxès. »

116 « Il transforma donc, comme dit Platon (14), d’excellentes troupes de terre en matelots et en gens de mer, et il prêta au reproche qu’on lui adresse, d’avoir arraché aux Athéniens la pique et le bouclier, pour les réduire au banc et à la rame. Et ce 263 résultat, Thémistocle l’obtint, au rapport de Stésimbrote, malgré Miltiade, qui ne put faire prévaloir l’avis contraire. »

117 Jean Pagès, Les thalassocraties antiques, Institut de Stratégie

118 Pierre Ducrey, Guerre et guerriers dans la Grèce antique, Hachette littératures, collection Pluriel, 1999 p. 169

119 Wartelle André. La pensée théologique d'Eschyle. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°30, décembre 1971. pp. 535-580.

120 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 115

121 « À mon concitoyen et au tien, au fils de Pisistrate, du dème de Philèdes  Hipparque, l'aîné,  et le plus sage des fils de Pisistrate, qui, parmi beaucoup d'autres preuves qu'il a données de sa sagesse, a le premier porté les livres d'Homère dans cette contrée, et obligé les rhapsodes à les réciter alternativement et par ordre aux Panathénées, comme ils le font encore aujourd’hui »

122 « D'abord sous la conduite de Cimon, fils de Miltiade, les Athéniens assiégèrent et prirent Eion, à l'embouchure du Strymon, ville occupée par les Mèdes et réduisirent en esclavage la population ; les habitants de Scyros, île de la mer Égée, qu'habitaient les Dolopes, eurent le même sort et les Athéniens y installèrent une colonie. Ils firent la guerre aux Carystiens, sans qu'intervînt le reste de l'Eubée, finalement conclurent un accord. Les habitants de Naxos, qui voulaient quitter la ligue, eurent à subir une guerre et par un siège furent mis à la raison. Ce fut la première ville alliée qui perdit la liberté, contrairement aux conventions fédérales ; chacune des autres par la suite subit le même sort. »

123 Delorme Jean. Sur la date du siège d'Eion par Cimon. In: Pallas, Hors-série 1986. Mélanges offerts à Monsieur Michel Labrousse. pp. 1-9.

124 « Cimon prit la ville, et n’y fit pas un grand butin, parce que les Barbares avaient presque tout brûlé ; mais il donna à habiter aux Athéniens le pays d’alentour, qui était aussi agréable que fertile. Le peuple, par reconnaissance, lui permit de dresser dans la ville trois Hermès de marbre, avec les inscriptions suivantes. On lisait sur le premier : »

125 Margueritdhe Yourcenar, La Couronne et la Lyre : Anthologie de poèmes traduits du grec ancien, Éditions Gallimard, 2015 p. 195

126 B. Holtzmann, L'Acropole d'Athènes, Monuments, cultes et histoire du sanctuaire d'Athéna Polias, Paris, 2003, p. 159

127 « Il relève beaucoup, dans cette partie de son histoire, le mérite des Athéniens, qu'il appelle les sauveurs de la Grèce ; et l'on ne pourrait qu'applaudir à cet éloge s'il n'y mêlait des reproches amers contre d'autres peuples. Quand il dit que les Lacédémoniens, trahis et abandonnés par les Grecs, aimèrent mieux mourir glorieusement, après avoir fait les plus grands exploits, plutôt que de voir les autres peuples favoriser les Perses et faire alliance avec Xerxès, n'est-il pas évident qu'en faisant plus haut l'éloge des Athéniens, il voulait moins les louer qu'en, prendre occasion de blâmer !es autres Grecs? »

128 « Les Athéniens ripostèrent en demandant aux Lacédémoniens d'expier le sacrilège de Ténare. Ces derniers avaient jadis fait lever les Hilotes suppliants qui se trouvaient dans le sanctuaire de Poséidon, à Ténare (104), puis les avaient entraînés à l'écart et massacrés. Selon eux-mêmes, cette impiété avait causé le grand tremblement de terre de Sparte. Les Athéniens demandaient également l'expiation du sacrilège commis envers Athéna Chalcioecos (105). Voici de quoi il s'agissait : Le Lacédémonien Pausanias avait été rappelé une première fois de son commandement dans l'Hellespont ; mis en jugement, il avait été acquitté. Mais on ne lui confia plus de mission publique ; c'est à titre de simple particulier, et sans l'aveu des Lacédémoniens, qu'avec une trière d'Hermionè il arriva dans l'Hellespont, sous prétexte de participer à la guerre des Grecs, en réalité pour nouer des intrigues avec le Roi, comme il avait déjà fait dans son ambition d'établir son pouvoir sur les Grecs. Voici le premier service qu'il rendit au Roi et l'origine de toute l'affaire. Lors de sa première expédition, après sa retraite de Chypre, Pausanias s'était emparé de Byzance ; c'était une ville que tenaient les Mèdes ; des parents et des alliés du Roi y furent faits prisonniers. Il les renvoya au Roi, à l'insu des alliés, en déclarant qu'ils s'étaient enfuis. II avait agi avec la complicité de Gongylos d'Érétrie à qui il avait remis le gouvernement de Byzance et la garde des prisonniers. Bien plus il envoya Gongylos porteur d'une lettre à l'adresse du Grand Roi. Il lui mandait ceci, comme on le sut par la suite : « Pausanias, général spartiate voulant t'obliger, te renvoie ces prisonniers qu'il a faits. Son désir, si tu y consens, est d'épouser ta fille et de soumettre à ta domination Sparte et le reste de la Grèce. Je crois être capable d'y parvenir, en m'entendant avec toi. Si ma proposition t'agrée, envoie-moi vers la côte un homme de confiance, par qui désormais je pourrai communiquer avec toi. » »

129 « Ensuite comme Athènes s'était enhardie et que de grandes richesses y affluaient, Aristide conseilla aux citoyens de se saisir de l'hégémonie, et de quitter la campagne pour venir habiter à la ville. Tous y auraient leur subsistance, les uns en faisant la guerre, les autres en gardant la ville, d'autres en prenant part à l'administration des affaires publiques : ainsi, ils tiendraient solidement l'hégémonie. On l'en crut, et, prenant en mains le pouvoir suprême, Athènes fit sentir à ses alliés une domination plus tyrannique, sauf à Chios, Lesbos et Samos, qu'elle considérait comme les gardiens de son empire ; aussi laissa-t-elle intactes la constitution nationale de ces trois îles et l'autorité qu'elles avaient eue jusqu'alors sur leurs sujets. »

130 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 183

131 « Nous parlerons d'abord du bien-fondé de notre défection et de notre honnêteté, avec d'autant plus de raison que nous sollicitons votre alliance. Car nous savons qu'il n'existe entre les individus aucune amitié solide, ni aucune union durable entre des villes, si l'on ne fait pas preuve, les uns à l'égard des autres, d'une honnêteté éprouvée et si, par ailleurs, il n'y a pas identité de moeurs. Du désaccord dans la pensée naissent les divergences dans l'action. Notre alliance avec les Athéniens a commencé, quand vous vous êtes retirés de la guerre contre les Mèdes, alors que les Athéniens la menaient jusqu'au bout. Mais si nous sommes devenus leurs alliés, ce n'était pas pour contribuer à leur asservir les Grecs, mais bien pour délivrer les Grecs des Mèdes. Tant que dans leur commandement ils nous ont traités sur un pied d'égalité, nous avons été pleins d'empressement pour les suivre. Quand nous avons constaté qu'ils se relâchaient de leur haine contre le Mède et qu'ils s'empressaient d'asservir leurs alliés, notre crante fut grande. Mais les alliés se trouvèrent dans l'impossibilité de s'unir pour se défendre, en raison de la grande extension du droit de suffrage, aussi furent-ils asservis à l'exception de nous-mêmes et des habitants de Khios. Désormais nous ne fûmes plus indépendants et libres que de nom, quand nous participâmes à leurs expéditions. Instruits par les exemples antérieurs, nous perdîmes confiance dans cette hégémonie des Athéniens. Car il ne fallait pas s'attendre qu'après avoir réduit à leur domination ceux qui étaient leurs alliés comme nous, ils n'en fissent pas autant à notre endroit, si l'occasion leur en état offerte. »

132 « A la tête des alliés, d'abord autonomes et délibérant en commun à égalité dans les assemblées, les Athéniens, par la guerre et l'administration, affermirent considérablement leur prééminence dans la période comprise entre la guerre contre le Mède et la guerre du Péloponnèse. Ils se trouvèrent aux prises avec le Barbare, avec leurs propres alliés révoltés et avec des Péloponnésiens qui, en maintes affaires, se dressaient contre eux. J'ai raconté ces événements, ainsi amené à faire une digression ; la raison en est que ce point a été laissé de côté par tous mes prédécesseurs, qui n'ont rapporté que les événements de la Grèce avant les guerres médiques et les guerres elles-mêmes. Il est vrai qu'Hellanicos dans son histoire d'Athènes a abordé la question, mais il l'a traitée rapidement et d'une manière inexacte quant à la chronologie. Du reste ma narration montre la façon dont s'est édifiée la puissance athénienne. »

133 « Aristide, par l’équité de la répartition des tributs, s’était fait une grande et admirable réputation ; mais Thémistocle se moquait, dit-on, des louanges qu’on donnait à son rival. Elles convenaient, selon lui, non pas à un homme, mais à un sac qui garde fidèlement l’or qu’on lui confie. C’était une faible vengeance d’un mot échappé 224 à la franchise d’Aristide. Thémistocle disait un jour que la plus grande qualité d’un général d’armée, c’était, à son avis, de savoir prévoir et pressentir les desseins des ennemis. « Oui, répondit Aristide, cette qualité lui est nécessaire ; mais ce qui est beau aussi, et digne d’un général, c’est d’avoir toujours ses mains pures. »

134 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 187

135 Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Gallimard (Bibliothèque illustrée des histoires), Paris, 3 tomes : t. 1 La République (1 vol., 1984), t. 2 La Nation (3 vol., 1986), t. 3 Les France (3 vol., 1992)

136 « Lorsqu’on eut partagé le butin fait à Platées, les Grecs donnèrent la sépulture à leurs morts, chaque nation aux siens à part. Les Lacédémoniens firent trois fosses : dans l’une, ils enterrèrent les irènes, au nombre desquels étaient Posidonius, Amopharète, Philocyon et Callicratès ; dans la seconde, ils mirent le reste des Spartiates, et dans la troisième, les Ilotes. Les Tégéates furent enterrés à part, mais tous pêle-mêle. Les Athéniens mirent leurs morts ensemble. Les Mégariens et les Phlasiens en agirent de même à l’égard de ceux d’entre eux qui avaient été tués par la cavalerie. Il y avait des corps dans les tombeaux de toutes ces nations ; mais les autres peuples, dont on montre la sépulture à Platées, honteux, comme je l’ai appris, de ne s’être pas trouvés au combat, érigèrent chacun des cénotaphes de terre amoncelée, afin de se faire honneur dans la postérité. L’élévation de terre qu’on appelle la sépulture des Éginètes fut faite, comme je l’ai ouï dire, dix ans après cette bataille, à la prière de ceux d’Égine, par Cléadas de la ville de Platées, fils d’Autodicus, leur hôte. »

137 « Lorsqu’on eut porté toutes ces richesses dans un même lieu, on en préleva la dixième partie pour les dieux. On en fit faire au dieu de Delphes le trépied d’or, soutenu par un serpent d’airain à trois têtes, qu’on voit près de l’autel ; au dieu d’Olympie, un Jupiter de bronze de dix coudées de haut, et au dieu de l’Isthme, un Neptune de bronze de sept coudées de haut. Le dixième du butin mis à part, on distribua le reste a chacun selon son mérite, les concubines des Perses, les bêtes de somme, l’or, l’argent et autres effets précieux. Personne ne dit ce qui fut donné, par manière de distinction, à ceux qui se signalèrent à la journée de Platées. Je crois cependant qu’on leur accorda quelque récompense particulière : on mit à part, pour Pausanias, le dixième de tout, femmes, chevaux, talents, chameaux, et semblablement de toutes les autres richesses, et on lui en fit présent. »

138 « Entre autres choses, on examinait sa conduite pour voir s'il s'était écarté des coutumes établies. On lui reprochait d'avoir fait graver, de sa propre initiative, sur le trépied  issu du butin conquis sur les Mèdes et jadis consacré à Delphes le distique ci-dessous : « Chef des Hellènes, après avoir détruit l'armée des Mèdes, Pausanias a consacré à Phébus ce monument. » Ce distique, les Lacédémoniens l'avaient effacé immédiatement du trépied et à la place avaient inscrit nommément toutes les villes qui avaient contribué à la défaite du Barbare et à l'érection du monument. Néanmoins on continuait à incriminer Pausanias de cette action et, maintenant que les soupçons étaient établis, on y voyait une analogie plus frappante avec ses desseins actuels. On apprenait également qu'il intriguait avec les Hilotes de la manière suivante : il leur promettait la liberté et le droit de cité, s'ils se soulevaient avec lui et l'avaient dans toutes ses entreprises. En dépit de ces présomptions, en dépit des dénonciations faites par quelques Hilotes, les Lacédémoniens ne voulurent rien innover contre Pausanias. Ils se conformaient à leur attitude traditionnelle, en se refusant à prononcer contre un Spartiate sans preuves incontestables une peine irréparable. Mais enfin, à ce qu'on dit, le messager qui devait porter à Artabaze la dernière lettre pour le Roi, un homme d'Argilos, qui avait été jadis le mignon de Pausanias et qui lui inspirait toute confiance, se fit son dénonciateur. Il constata qu'aucun des messagers qui l'avaient précédé n'était revenu ; ce qui l'effraya. II contrefit le sceau, pour qu'au cas où ses soupçons ne serment pas fondés et où Pausanias lui redemanderait la lettre pour y ajouter quelque chose, on ne s'aperçût pas de son subterfuge ; puis il ouvrit la lettre. Ses pressentiments étaient fondés et il vit qu'on recommandait de mettre à mort le messager. »

139 « Les Grecs partirent de Mycale pour l’Hellespont ; mais les vents contraires les obligèrent de s’arrêter d’abord aux environs du promontoire Lectum. De là ils allèrent à Abydos, et trouvèrent rompus les ponts qu’ils croyaient encore entiers, et qui étaient le principal objet de leur voyage. Léotychides et les Péloponnésiens furent d’avis de retourner en Grèce. Mais les Athéniens résolurent, avec leur général Xanthippe, de rester en cet endroit et d’attaquer la Chersonèse. Les Péloponnésiens partirent. Quant aux Athéniens, ils passèrent d’Abydos dans la Chersonèse, et tirent le siége de Sestos.  Comme Sestos était la plus forte place de tout le pays, on s’y rendit des villes voisines aussitôt qu’on eut appris l’arrivée des Grecs dans l’Hellespont ; et il y vint aussi de Cardia un Perse nommé Œobasus qui y avait fait porter les agrès des vaisseaux qui avaient servi aux ponts. Cette ville était occupée par des Éoliens nés dans le pays ; il s’y trouvait aussi des Perses et un grand nombre d’alliés. »

140 « Ils furent tous enterrés au même endroit où ils avaient été tués, et l'on voit sur leur tombeau cette inscription, ainsi que sur le monument de ceux qui avaient péri avant que Léonidas eût renvoyé les alliés: « Quatre mille Péloponnésiens combattirent autrefois dans ce lieu contre trois millions d'hommes. » Cette inscription regarde tous ceux qui eurent part à l'action des Thermopyles; mais celle-ci est pour les Spartiates en particulier : « Passant, va dire aux Lacédémoniens que nous reposons ici pour avoir obéi à leurs lois. » En voici une pour le devin Mégistias : « C'est ici le monument de l'illustre Mégistias, qui fut autrefois tué par les Mèdes après qu'ils eurent passé le Sperchius. Il ne put se résoudre à abandonner les chefs de Sparte, quoiqu'il sût avec certitude que les Parques venaient fondre sur lui. » Les amphictyons tirent graver ces inscriptions sur des colonnes, afin d'honorer la mémoire de ces braves gens. J'en excepte l'inscription du devin Mégistias, que fit, par amitié pour lui, Simonides, fils de Léoprépès »

141 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 121

142 « Plus loin, la bataille de Marathon ; les Béotiens de Platées et des autres villes alliées de l'Attique en sont aux mains avec les Barbares, et de ce côté, l'avantage est à peu près égal des deux parts. Hors du champ de bataille, les Barbares sont en fuite et se poussent les uns les autres dans le marais. A l'extrémité, se distinguent les vaisseaux Phéniciens ; les Grecs tuent les Perses qui cherchent à y monter. Vous distinguez dans ce tableau, le héros Marathon, de qui le bourg a pris le nom ; Thésée, qui paraît sortir de la terre, et Minerve (Athéna), et Hercule ; car les Marathoniens, à ce qu'ils disent eux-mêmes, sont les premiers qui aient rendu les honneurs divins à Hercule. Les plus reconnaissables parmi les combattants, sont, Callimaque, qui était alors Polémarque ; Miltiade, l'un des Généraux, et le héros Echetlus dont je parlerai par la suite.  Sous ce portique, sont des boucliers d'airain, les uns ont été pris aux Scionéens et à leurs alliés ; ainsi nous l'apprend l'inscription placée au-dessus ; les autres, enduits de poix afin d'être préserves de la rouille, sont, dit-on, ceux des Lacédémoniens faits prisonniers dans l'île de Sphactérie. »

143 « En effet, il leur paraissait impossible de protéger et de défendre continuellement les Ioniens ; et ils voyaient bien que s’ils cessaient de le faire, ces peuples ne pourraient se flatter d’avoir abandonné impunément le parti des Perses. Les personnes en place parmi les Péloponnésiens opinèrent qu’il fallait chasser les nations qui avaient embrassé le parti des Perses, et donner leur pays et leurs villes de commerce aux Ioniens, pour y fixer leur demeure. Les Athéniens ne furent nullement d’avis de transporter les Ioniens hors de leur pays, et soutinrent qu’il ne convenait pas aux Péloponnésiens de délibérer sur leurs colonies. Les Péloponnésiens, les voyant persister dans le sentiment opposé, leur cédèrent volontiers. Ainsi les Grecs reçurent dans leur alliance les Samiens, ceux de Chios, de Lesbos, et les autres insulaires qui les avaient aidés dans cette expédition, après qu’on leur eut fait promettre avec serment qu’ils demeureraient fermes dans cette alliance, et que jamais ils ne la violeraient. Quand on les eut liés par ce serment, les Grecs firent voile vers l’Hellespont pour rompre les ponts, croyant les trouver encore entiers. »

144 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 223

145 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996 p. 213-216

146 Bruce Lincoln, Politique du Paradis, Labor et Fides, France, 2015 p. 111

147 « puis alla vers la plante, qui se présentait comme si elle n’avait qu’une tige d’un pied de long, sans branches, sans écorce, humide et douce. Et elle avait toutes les sortes de pouvoirs de toutes les espèces de plantes dans sa nature » cité dans Bruce Lincoln, Politique du Paradis, Labor et Fides, France, 2015 p. 111

148 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, 1996 p. 592

149 « Masistès ignorait ce qui venait de se passer ; mais, comme il s’attendait à quelque chose de funeste, il accourt chez lui en diligence, et voyant sa femme traitée avec tant d’indignité, il délibère sur-le-champ avec ses enfants, et part aussitôt avec eux et quelques autres personnes pour la Bactriane, dans l’intention de faire soulever cette province, et de faire au roi tout le mal qu’il pourrait. Je suis persuadé qu’il y aurait réussi, s’il n’eût pas été prévenu avant son arrivée dans la Bactriane et chez les Saces ; car les Bactrians, dont il était gouverneur, l’aimaient beaucoup. Mais Xerxès, ayant eu avis de ses desseins, envoya contre lui un corps d’armée qui le massacra en chemin avec ses enfants et les troupes qui l’accompagnaient. En voilà assez sur les amours de Xerxès et la mort de Masistès. »

150 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 130

151 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 142

152 « Le Roi, dit-on, admira la résolution de Thémistocle et accepta ses propositions. Thémistocle, pendant son année d'attente, apprit, autant qu'il put, la langue perse et s'initia aux usages du pays. Un an après, il vint à la cour du Roi et y acquit une considération et une autorité que n'avait jamais eues aucun Grec ; il les devait à l'estime dont il avait joui précédemment, à l'espoir qu'il avait fait naître chez le Roi de lui soumettre le monde grec et surtout aux preuves manifestes de son intelligence. Car Thémistocle, qui avait montré toute la puissance de ses dons naturels, provoquait particulièrement sur ce point l'admiration. Ses qualités d'intuition, sans l'aide d'aucune étude préalable ou subséquente, le mettaient à même de juger excellemment, sans longue réflexion, des circonstances présentes ; quant à l'avenir, il en prévoyait merveilleusement les conséquences les plus lointaines. Pour les problèmes qui lui étaient familiers, il excellait à les exposer en détail ; pour ceux qui lui étaient étrangers, il était capable d'en juger d'une manière suffisante. Il discernait parfaitement le fort et le faible des questions encore obscures. En bref, par ses dons naturels et la promptitude de son intelligence »

153 « Dès l'aube, le Roi convoqua ses amis et fit venir Thémistocle, lequel n'avait pas bon espoir, voyant que les gardes, dès qu'ils apprenaient son nom sur son passage, étaient mal disposés, insultants même. (2) Un détail encore: alors que le Roi siégeait, que les autres gardaient le silence et que Thémistocle s'approchait du chiliarque Roxanès, celui-ci murmura dans un soupir: «Équivoque serpent grec, toi, c'est le Génie du Roi qui t'a conduit ici!» Néanmoins, quand Thémistocle parvint sous les yeux du Roi et se fut à nouveau prosterné, ce prince le salua et s'adressa à lui avec bienveillance: il devait désormais, dit-il, deux cents talents à Thémistocle car, s'étant livré lui-même, celui-ci allait recevoir en toute justice la récompense proclamée pour qui l’amènerait! »

154 « Alcibiade conseillait également à Tissaphernès de ne pas trop se hâter de terminer la guerre ; de ne pas donner au même peuple la suprématie sur terre et sur mer, en appelant la flotte phénicienne qu'il faisait équiper et en augmentant le nombre des mercenaires grecs. Il fallait, au contraire, laisser la domination sur terre et sur mer partagée entre les deux peuples et offrir continuellement au Roi la latitude d'opposer l'un d'eux à celui qui lui causerait de l'embarras. Par contre, si la suprématie sur terre et sur mer venait à être concentrée dans les mêmes mains, le Roi ne saurait à quels alliés faire appel pour ruiner le peuple le plus puissant et il se verrait obligé d'engager plus tard une lutte coûteuse et pleine de périls. Les risques seraient moins grands, la dépense moins forte, sa sécurité complète, s'il laissait les Grecs se détruire les uns les autres. Mieux valait, disait-il, associer les Athéniens à l'empire du Roi, ils étaient moins portés à chercher la domination sur terre ; tant en actions qu'en paroles, c'était leur concours qui pour la guerre était le plus utile ; ils soumettraient à leur propre pouvoir les contrées maritimes et au pouvoir du Roi les Grecs de son empire. Au contraire, les Lacédémoniens viendraient les délivrer. Il ne fallait pas attendre d'eux qu'affranchissant du joug des Athéniens d'autres Grecs, ils ne les affranchissent pas également du joug des Perses. Le seul moyen état de les empêcher de terrasser les Athéniens. Alcibiade conseillait donc à Tissaphernès d'user les uns par les autres et quand dans la mesure du possible il aurait amoindri les Athéniens, de chasser les Péloponnésiens du pays. Telles étaient aussi, en général, les vues de Tissaphernès, autant qu'on peut en juger par les événements. Les conseils d'Alcibiade lui paraissaient excellents et il lui accordait sa confiance. Aussi subvint-il chichement à la solde des Péloponnésiens et refusa-t-il de les laisser combattre sur mer. En prétendant que la flotte phénicienne allait arriver et qu'on aurait alors une supériorité manifeste, il compromit leurs affaires, affaiblit le mordant de leur marine devenue alors très puissante. En tout, il montra une mauvaise volonté évidente à les aider dans la conduite de la guerre. »

155 « La paix, conclue précédemment entre les Lacédémoniens et les Athéniens, s'était maintenue intacte jusqu'à cette époque. Mais Sphodriade le Spartiate, commandant militaire, homme d'un caractère altier et violent, écouta le conseil du roi des Lacédémoniens et occupa la Pirée, sans demander le consentement des éphores. Sphodriate, à la tête de plus de dix mille hommes, tenta de s'emparer de ce port pendant la nuit; mais, les Athéniens en ayant été avertis, il manqua son entreprise et revint sans avoir rien exécuté. Il fut traduit devant le conseil des Spartiates; mais grâce aux efforts des rois, il fut absous contre toute règle de justice. Aussi les Athéniens, indignés de cet événement, décrétèrent-ils que les traités avaient été violés par les Lacédémoniens ; et, leur déclarant la guerre, ils nommèrent au commandement de l'armée trois des plus illustres capitaines, Timothée, Chabrias et Callistrate. Ils décrétèrent aussi une levée de vingt mille hoplites, de cinq cents cavaliers et l'armement de deux cents bâtiments. En même temps ils admirent les Thébains dans le conseil général aux mêmes conditions que les autres villes confédérées. Enfin, ils décidèrent que les terres seraient rendues aux propriétaires qui les avaient anciennement reçues en partage, et ils votèrent une loi qui défendit à tout Athénien de cultiver le sol hors de l'Attique. Ce fut par cette conduite si sage que les Athéniens se concilièrent l'affection des Grecs, en même temps qu'ils consolidèrent leur propre puissance. »

156 « Les Athéniens, irrités contre les Lacédémoniens à cause de la tentative de Sphodrias, s'empressèrent d'envoyer autour du Péloponnèse soixante vaisseaux qu'ils avaient équipés et dont ils avaient donné la conduite à Timothée. Comme l'ennemi n'avait pas envahi le territoire de Thèbes, ni pendant l'année où Cléombrotos conduisait l'armée, ni pendant celle où Timothée fit le tour de Péloponnèse, les Thébains enhardis marchèrent contre les villes circonvoisines et les reprirent. Cependant Timothée, ayant contourné le Péloponnèse, avait immédiatement soumis Corcyre, et comme il n'avait réduit personne en esclavage, ni exilé aucun citoyen, ni changé les lois, il s'était attaché davantage toutes les villes de ces contrées. À leur tour, les Lacédémoniens armèrent une flotte et ils envoyèrent Nicolochos, homme très audacieux, en prendre le commandement. Dès qu'il aperçut les vaisseaux de Timothée, il ne perdit pas un moment, et, bien qu'il lui manquât six vaisseaux d'Ambracie, il attaqua avec cinquante-cinq trières Timothée qui en avait soixante. Il fut vaincu et Timothée dressa un trophée à Alyzeia. Tandis que Timothée faisait radouber ses vaisseaux qu'il avait tirés à sec, Nicolochos, renforcé des six vaisseaux d'Ambracie, cingla sur Alyzeia, où se trouvait Timothée. Comme celui-ci ne sortait point à sa rencontre, il dressa, lui aussi, un trophée dans les îles les plus rapprochées. Mais quand Timothée eut radoubé les vaisseaux qu'il avait et qu'il en eut armé d'autres venus de Corcyre, il en eut en tout plus de dix et sa flotte fut de beaucoup supérieure à celle de l'ennemi. Alors il demanda de l'argent à Athènes, car il lui en fallait beaucoup pour tant de vaisseaux. »

157 Ducrey (P.), « Remarques sur les causes du mercenariat dans la Grèce ancienne et la Suisse moderne », Mélanges J.R. Von SAlis, Zürich, 1971, p. 115-123.

Ducrey (P.), « Les Aspects économiques de l'usage de mercenaires dans la guerre en Grèce ancienne : Avantages et Inconvénient du recours à une main d'œuvre militaire rémunérée », dans Andreau (J.), Briant (P.) et Descat (R.), La guerre dans les économies antiques, Saint-Bertrand-de-Commingues, 2000,p. 197-209

158 Ceux qui croient que la justice est honorable, mais qu'elle n'est pas utile, ou qui pensent quelles hommes justes sont moins heureux que les sectateurs de l'iniquité, commettent une grave erreur. La vertu seule, et la justice qui en est une partie, nous donne le bonheur, sinon toujours, du moins la plupart du temps, et non seulement dans le présent, mais pour l'éternité tout entière.  Plût aux dieux qu'il fût également facile de louer la vertu et de conduire à la pratiquer des auditeurs corrompus par ceux qui n'ont d'autre talent que le talent de tromper, et qui, lorsque, gagnés par des largesses, ils veulent nous engager dans quelque guerre, osent dire que nous devons imiter nos ancêtres, etc.! Je demanderais volontiers à ces hommes quels sont parmi nos ancêtres ceux qu'ils nous recommandent d'imiter, et si leur pensée se porte vers ceux qui ont vécu à l'époque de la guerre perdue, ou vers les hommes qui ont gouverné la république avant la guerre de Décélie. J'ignore donc si je dois parler ou me taire.  Mais, bien que vous éprouviez plus d'irritation contre ceux qui vous reprochent vos fautes que contre les auteurs de vos maux, comme il n'existe d'autre remède pour les esprits malades qu'un discours qui réprimande avec liberté, mon amour pour ma patrie exige que je parle et que j'exprime un blâme.  Nous louons nos ancêtres et nous faisons le contraire de ce qu'ils faisaient. Ils combattaient contre les Barbares et donnaient la liberté aux Grecs; ils abandonnaient leur ville pour le salut de tous ; et nous, combattant contre les Grecs avec les soldats de la Grèce, réduisant les Grecs en servitude, nous ne voulons pas même faire la guerre pour accroître la puissance de notre pays ; nous manquons des choses nécessaires à la vie, et nous faisons des sacrifices pour nourrir une armée étrangère composée d'hommes flétris par toutes sortes de crimes ; enfin, tandis que nous laissons à des soldats mercenaires l'honneur de revêtir de pesantes armures, nous obligeons les citoyens à ramer sur les galères.

159 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 229

160 Alors Pharnabaze craignant que cette armée ne portât la guerre dans son gouvernement, envoya vers Anaxibius, un des Lacédémoniens, qui se trouvait pour lors à Byzance. Il le pria de faire sortir ces troupes de l'Asie, et lui promit de reconnaître ce service en faisant tout ce qu'Anaxibius exigerait de lui. Ce Lacédémonien fit venir les généraux et les chefs de lochos grecs à Byzance, et s'engagea à donner une paie aux soldats s'ils traversaient le détroit. Les autres généraux se chargèrent de faire mettre l'objet en délibération, et de lui rapporter la réponse des troupes. Xénophon seul dit qu'il voulait enfin quitter l'armée et s'embarquer pour retourner en Grèce. Anaxibius l'exhorta à rester encore avec les Grecs pendant le passage ; et à ne s'en séparer qu'ensuite ; Xénophon le lui promit. Seuthès, Thrace, envoie aussi Médosade à Xénophon ; il veut l'engager à l'aider de tous ses efforts pour faire traverser à l'armée le Bosphore, et lui promet que s'il s'y emploie avec zèle, il n'aura pas lieu de s'en repentir. Ce général répond : “Les Grecs vont certainement passer le détroit, et Seuthès n'a besoin de rien promettre ni à moi, ni à qui que ce soit pour l'obtenir. Dès que l'armée aura le pied en Europe, je la quitterai. Qu'il s'adresse donc, comme il le jugera à propos, à ceux qui doivent rester avec les troupes et qui ont du crédit sur elles. Alors tous les Grecs passèrent à Byzance. Anaxibius ne leur donna point la paie qu'ils espéraient, mais fit publier par un héraut qu'ils prissent leurs armes, leur bagage, et sortissent de la ville ; comme s'il eût voulu en faire la revue et les congédier. Les soldats s'affligeaient de n'avoir point d'argent pour acheter des vivres pendant la route qui leur restait à faire, et ne se pressaient pas de charger les équipages. Xénophon, que les liens de l'hospitalité attachaient à Cléandre, gouverneur de Byzance, alla le voir, et l'embrassa comme prêt à s'embarquer pour retourner dans sa patrie.

161 Les Lacédémoniens louèrent sa réponse et le prièrent d'assigner une drachme attique à chaque matelot, en lui représentant que cette augmentation de paye amènerait la désertion chez les matelots athéniens et lui épargnerait de grandes dépenses par la suite. Cyrus reconnut qu'ils avaient raison, mais déclara qu'il lui était impossible de dépasser les instructions de son père, qu'aux termes du traité, il devait donner trente mines par mois pour chaque vaisseau que les Lacédémoniens voudraient entretenir. Lysandre ne dit rien pour le moment, mais après le repas, quand Cyrus, buvant à sa santé, lui demanda ce qu'il pourrait faire de plus agréable pour lui, il répondit : « C'est que tu augmentes d'une obole la solde de chaque matelot. »  Dès lors la solde fut de quatre oboles; auparavant elle n'était que de trois; en outre, Cyrus paya l'arriéré et fit même distribuer une avance d'un mois, ce qui redoubla le zèle du soldat.

162 Lysandre, que les Lacédémoniens avaient envoyé prendre le commandement de la flotte, donnait à ses matelots, sur l’argent que Cyrus lui fournissait, quatre oboles ait lieu de trois. Alcibiade, qui avait bien de la peine à en payer trois aux siens, alla dans la Carie pour y ramasser quelque argent. Antiochus, à qui il avait laissé le commandement de la flotte, était un bon pilote, mais un homme étourdi et entreprenant. Alcibiade lui avait défendu de combattre, quand même il serait provoqué par les ennemis. Mais il eut si peu d'égard à cette défense, et porta si loin la témérité, qu'ayant rempli son vaisseau de soldats, et en prenant un autre de la flotte, il cingla vers Éphèse, et passa le long des proues des vaisseaux ennemis, provoquant par des outrage et des injures ceux qui les montaient. Lysandre se contenta de détacher quelques galères pour lui donner la chasse. Mais, les Athéniens étant venus au secours de leur général, Lysandre fit avancer toute sa flotte, les battit, tua Antiochus, s'empara de plusieurs vaisseaux, fit un grand nombre de prisonniers, et dressa sur-le-champ un trophée. Alcibiade, informé de ce désastre, revint à Samos, et, s'étant mis à la tête de toute sa flotte, alla présenter la bataille à Lysandre, qui, content de sa victoire, ne sortit pas à sa rencontre.

163 Marinovic Ludmila Petrovna, Le mercenariat grec au IVe siècle avant notre ère et la crise de la polis, Besançon : Université de Franche-Comté, 1988.

164 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 229

165 Olivier Picard, Les Grecs devant la menace perse, Paris, CDU-SEDES, 1995 p. 231

166 A Guide to the Principal Coins of the Greeks, from circa 700 B.C. to A.D. 270. Based on the work of B. V. Head. Pp. viii + 106; 50 collotype plates. London: British Museum, 1932. Cloth, 15s.

167 R. Bogaert, Epigraphica, vol. III (1976), texte 21.

168 Feyel Christophe, « À propos de la loi de Nicophon. Remarques sur le sens de δόκιμος, δοκιμάζειν, δοκιμασία », Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes, 2003/1 (Tome LVXXII), p. 37-65.

169 J.-M. Bertrand, Inscriptions historiques grecques, Paris, BL, 1992; no 43, pp. 92-94

170 Édouard Will, Le Monde grec et l'Orient : Le Ve siècle (510-403), PUF, coll. « Peuples et Civilisations », 1972, p. 353.

171  On trouva que ces orateurs avaient bien parlé et les Lacédémoniens eux-mêmes votèrent pour la paix  à la condition qu'on retirerait les harmostes des villes, qu'on licencierait les armées de terre et de mer et qu'on laisserait aux Etats leur indépendance. Si un Etat contrevenait à ses clauses, on secourrait, si on voulait, les villes opprimées; mais, si on ne le voulait pas, on ne serait pas tenu par le serment de leur venir en aide.

172 Pierre Briant, Histoire de l'Empire perse, de Cyrus à Alexandre, Paris, Fayard, 1996, p. 675

173 Gondonneau Alexandra, Guerra M.F. L'or perse à travers l'analyse de monnayages antiques et médiévaux.. In: Revue d'Archéométrie, n°24, 2000. pp. 27-38.